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PLAIDOYER POUR LA LAÏCITE

PLAIDOYER POUR LA LAÏCITE

Pour que la régression ne prenne pas le pas sur toutes nos conquêtes.

© Delambre
© Gébé (1926-2004)

9 décembre : Journée Nationale de la laïcité.

Prendre la plume pour ce jour-là m’était une nécessité absolue, car il y a urgence ! Laïcité, ce mot magnifique, ce mot dont nous devrions être fiers, en ces temps d’égarement des jugements, se retourne contre nous.

Il devient une insulte pour les ennemis de la liberté.

Il les autorise à assassiner des professeurs, des journalistes, des caricaturistes.

Il les autorise à brûler des écoles.

Taraudée par la colère, la honte, la révolte, le désespoir, aujourd’hui, je prends la plume pour dire ce qu’est la laïcité et les menaces qui pèsent sur elle. Ma légitimité : être une femme, une citoyenne et avoir des souvenirs :

 

© Jean Effel, Affiche de Jean Effel pour le Comité national d’action laïque, vers 1965 – © Plantu

Enfants, nous allions « à la laïque ». Entendez par là, à l’école de la république. Et mon père, pour que nous en comprenions bien les enjeux plus d’une fois nous a raconté les conflits qui immanquablement surgissaient pendant les grands repas de famille où s’affrontaient violemment « les grenouilles de bénitier » et les « bouffeurs de curé », suite à la loi de séparation de l’Église et de l’État. Au dessert, ceux qui vociféraient le plus, jetaient leurs serviettes et filaient se calmer au jardin, au grand désespoir de l’aïeule et de la mère.  Aujourd’hui, disait mon père, la laïcité n’est plus discutée, elle est bien installée… C’était dans les années 60…

Prise, jour après jour, dans l’étau d’informations d’une violence inouïe, écoles brûlées, profanées, saccagées, assassinats sordides d’enseignants, menaces de mort anonymes et lâches des réseaux sociaux, discours nauséeux ou silences répugnants, il me fallait prendre la plume.

La marche de l’Histoire : la neutralité de l’État

La laïcité est une conception politique et sociale. Elle implique la séparation de la société civile et de la société religieuse. L’État est neutre, il ne se mêle pas de religions et les religions n’interfèrent pas dans l’État. En latin –laicus, comme en grec laikos – signifie ce qui concerne le peuple.

La libre pensée : Avant que le mot laïcité existe, le problème de la libre pensée a été soulevé par une chaine d’écrivains, de philosophes dont Rabelais pourrait en être le représentant, puis Montaigne puis Spinoza… Leurs idées précédaient celles des Lumières qui se révoltaient contre les pouvoirs de l’Église. Ces hommes, au prix parfois de leur liberté, offraient le droit et la chose publique à l’Homme.

© Bo Bojesen Niels (Danemark) – © Dusault (France), Voltaire.

Voltaire (1694-1778) et Condorcet (1743-1794 ont milité pour que la religion soit affaire de conscience individuelle. Condorcet dans son rapport sur l’instruction publique (avril 1792) pose le principe de l’indépendance des établissements d’enseignement, de l’enseignement gratuit et celui de n’admettre dans l’instruction publique aucun culte religieux.

Vers 1870 : Enseignement et laïcité

C’est dans une atmosphère de conflits entre partisans ou opposants à l’emprise de l’Église sur l’éducation des filles qu’apparait le mot laïcité et sa notion politique. En effet, c’est après la défaite de 1870 que la IIIème République identifia le problème de la laïcité à celui de l’éducation. Jules Ferry (1832-1893), ce grand laïque, ministre de l’instruction publique et des Beaux-Arts dans le gouvernement de la IIIème République, institue par la loi du 16 juin 1881 la gratuité de l’enseignement primaire, l’obligation de cet enseignement de 6 à 13 ans. Il crée aussi l’École Normale de Jeunes Filles.

Enfin, le 9 décembre 1905

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » (Extrait de l’article 1 de la Constitution de la Ve République, 1958)

En France, la séparation des églises et de l’État a été promulguée par une loi le 9 décembre 1905. Elle proclame :

Art. 1. « La république assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

Loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’état. – © Béatrice Alemagna, 2015 – Charles Lucien Léandré (1862 – 1934), Le Rire, le 20 mai 1905

Depuis cette date, juifs, chrétiens, musulmans, athées et autres, ont le droit en France, de pratiquer ou non leur religion sans être inquiétés. Cette loi sur la laïcité est une loi de liberté, de liberté de conscience, et de vivre ensemble.

La loi sur la séparation des églises et de l’état est proclamée. Dans les décennies qui suivent, la France se déchire sur les questions des deux écoles : l’école religieuse accuse l’école laïque d’être l’école du diable alors que l’école laïque dit n’avoir rien à voir avec la calotte ! (Louis Guilloux, Le pain des rêves, p. 157).

André Gill, (1840 – 1885) Jules Ferry croque un prêtre en pain d’épice, La Petite Lune, n°42, 1878 – Couverture du livre de Michel Dixmier, Jacqueline Laouette et Didier Pasamonik, La République et l’Eglise. Images d’une querelle, Editions de La Martinière, 150 pages.

Les hoquets de l’Histoire : Le régime de Vichy (10 juillet 1940 au 9 août 1944)

Dès l’abrogation de la République et l’instauration de « l’État Français », on assiste à une « reconquête cléricale » et à une « rechristianisation » du pays : les écoles dites « libres », c’est-à-dire chrétiennes, fleurissent. En 1940, le régime de Vichy (1940-1944) demande à l’Église de dénoncer « la formule du laïcisme intégral » (La Croix, 24 août 1940). La « neutralité républicaine « est remise en cause. Le maréchal Pétain stigmatise « l’erreur de la laïcité » et annonce une grande réforme de l’enseignement qui doit déboucher sur « une école véritablement nationale et chrétienne. » (Pétain in, La Revue des deux mondes, 15 août 1940))

Ce régime, instauré par la France collaborationniste du maréchal Pétain, à la botte de l’Allemagne hitlérienne, édicte des lois pour évincer, poursuivre, priver de leurs droits, mettre en camps de concentration, exterminer les juifs de notre pays et ceux venus d’ailleurs se réfugier chez nous.

Souvenons-nous de cela.

Le Maréchal Pétain s’assoit à la place de l’instituteur. École de Pérignier (Allier) en octobre 1941 – Propagande maréchaliste dans la revue Patrie.

Aujourd’hui

Depuis les années cinquante, ce cadre de la loi de 1905, qui était presque exclusivement catholique, protestant, juif, pour la France métropolitaine, s’est élargi du fait de l’immigration et de l’importance prise par l’islam. Des problèmes nouveaux se posent. Le caractère communautaire, identitaire, d’une religion souvent dévoyée par les fondamentalistes islamistes, auxquels s’ajoutent des traits culturels différents, par exemple, la façon de s’habiller pour les femmes et les jeunes filles, le port du voile, de l’abaya – emblèmes incontestables d’une foi religieuse ou d’une appartenance communautaire, l’intrusion dans les écoles de parents de ces communautés qui remettent en cause la neutralité de la laïcité, les valeurs de la République, l’histoire de la Shoa… alimentent les discussions et engendrent des voies de faits de plus en plus violents allant jusqu’au meurtre.

© Chimulus (1946 – 2016) – © Coco

Plaidoyer : Laïcité, c’est l’honneur de notre pays…

… et nous revendiquons le droit de n’avoir aucune tolérance d’aucune sorte pour ceux qui assassinent ou violentent ou dégradent au nom d’une religion, dévoyée par eux-mêmes et qui veulent imposer leur loi. N’ayons pas peur de les nommer, ce sont les islamistes fondamentalistes.

© Mykaïa © Vuillemin
© Biz – © Victor Solís
© Placide – © Lasserpe
© Daulé – © Joep Bertrams

Menacés eux-mêmes, nombreux sont les musulmans qui se retrouvent piégés, craignant pour leur famille ou pour eux. Soumis aux intégristes, ils se taisent, mais il faudra bien qu’un jour, ils relèvent la tête et suivent les préceptes de la République.

Cet état de fait engendre des débats qui se propagent aux traditionalistes des autres religions qui en profitent pour remettre en cause la laïcité.

© Xavier Delucq – © Ysope

Répétons-le encore et encore, la foi est affaire privée, intime, quelle que soit la religion, chrétienne, juive, musulmane ou autre.

© Ray Clid – © Baudry
© Pancho – © Jancry

La loi de 1905 est un rempart à défendre contre tous ceux qui l’attaquent, la bafouent ou voudraient la supprimer. Cette laïcité qui nous protégeait si bien, sur laquelle nous étions tranquillement assis, voilà qu’elle est insultée, voilà qu’elle est contestée. Il n’y a pas 36 formes de laïcité. Elle est. Ni plus. Ni moins. Ne transigeons pas avec ses principes. Elle a été un levier puissant de paix sociale. Aujourd’hui, alors qu’une bataille culturelle mondiale se propage comme une terrible pandémie, on voudrait nous faire croire que cette loi est discriminatoire, raciste, alors qu’elle est au contraire la seule voie de la liberté, de toutes les libertés.

La suite logique de laïcité, c’est la liberté d’expression, elle aussi remise en cause, affadie par nos lâchetés. Hugo, Zola, Baudelaire, Simone Veil, Charlie Hebdo…et tant d’autres se sont levés pour défendre la liberté d’expression, celle de la presse, celle de dessiner des caricatures, qu’elles nous plaisent ou non. La liberté de les montrer, que cela nous plaise ou non. Nous avons le droit au blasphème : Le blasphème fait partie des Droits de l’Homme, pas des bonnes manières, nous dit André Comte-Sponville.

© Ballouhey – © Glez

Notre soutien aux enseignants est et doit être inconditionnel. Ces femmes et ces hommes, dont la tâche est rude, bousculés par le temps et les programmes, sont les piliers de la République. Ils sont harcelés par l’obscurantisme et la régression des libertés imposée par des fanatiques, contestés par des adultes qui n’ont rien à faire dans l’enceinte sacrée des écoles, collèges et lycées, menacés par des parents qui n’ont aucune légitimité à intervenir dans les contenus des cours et qui incitent même leurs enfants à se rebeller en classe.

Les exemples tragiques de Monsieur Samuel Paty et plus récemment de Monsieur Dominique Bernard, présents dans nos consciences, ne peuvent être oubliés. Ils ont été assassinés parce qu’ils faisaient leur métier d’enseignants qui est de transmettre nos valeurs républicaines, qui est de transmettre les savoirs.

© Kichka – © Marco De Angelis

Ils ont été assassinés pour avoir défendu le principe de laïcité, et ce, dans le cadre de leurs cours ou sur les lieux d’enseignement. Ils ont été assassinés parce que, en enseignant, ils luttaient contre l’obscurantisme.

Installés dans le confort de nos libertés, nous laissons faire et faisons le jeu des fanatiques, des ignorants de l’Histoire, manipulés, endoctrinés par leurs chefs qui prônent la violence, ostracisent à tout va, juifs, musulmans, chrétiens, c’est selon.

Mais il y a aussi l’extrême droite et les milieux identitaires, qui, sournoisement, s’approprient les valeurs de la République, les dévoient et s’emparent de ce mot laïcité sur des sites identitaires  et l’utilisent pour faire bouillir les colères.

Site identitaire d’extrême droite Riposte laïque – © Large

Les propos malsains, les insultes racistes, dégoutantes, haineuses, surgissent sur les murs des immeubles, dans les rues, le métro, comme des fleurs empoisonnées : notre tolérance est de la paresse, de la lâcheté et construit la route de l’intolérance et des extrêmes. Notre silence, c’est l’abdication au quotidien, insidieuse et perverse qui laisse le champ aux discours sectaires et racistes.

Prenons garde : Nous avons des responsabilités envers les jeunes, proies faciles des réseaux sociaux.

© Hédrich – © Vomorin

Chacun de nous a des armes pacifiques : expliquer, créer, montrer. Dès la plus petite enfance, il faut inventer des instants de discussions et d’échange, utiliser le théâtre, les mises en situation et n’avoir pas peur d’un mot moqué, la morale républicaine. Car les temps sont terribles. La régression prend le pas sur toutes nos conquêtes.

Pour contrer la propagande destructrice : Au premier chef, il y a donc l’école, l’instruction, l’éducation.  Il y a tout ce qui fait peur à ces zélateurs et qu’ils interdisent : l’art, la littérature, les sciences, le cinéma, le théâtre, le dessin, la musique. En un mot, la culture !

© Devo – © Emad Hajjaj alias ZB

Et l’Histoire qui doit nous rappeler les millions d’humains mis en camps, humiliés, insultés, torturés, assassinés à cause de leur appartenance à une religion. Hier comme aujourd’hui.

Nous ne naissons pas juifs, chrétiens, musulmans, athées, nous naissons Femme ou Homme. Nous sommes d’abord des humains.

La laïcité, spécifique à la France, est l’un des piliers de la république. Facteur de paix sociale, la laïcité est notre liberté, notre humanisme. Et la liberté d’expression, la garantie de la démocratie.

© Yas – © Placide

9 décembre : Journée Nationale de la laïcité : Et si, ce jour-là, chaque école plantait un olivier, l’arbre symbole de la laïcité ? Ce serait un grand geste d’espoir !

Heliane Bernard

L’arbre de la laÏcité

Hommage à Chimulus, André Gill, Charles Lucien Léandré et à Gébé. Merci à Béatrice Alemagna, Pierre Ballouhey, Baudry, Joep Bertrams, Biz Dessinateur, Niels Bo Bojesen , Coco, Bertrand Daullé, Jean Michel Delambre, Xavier Delucq, Emad Hajjaj (Abu mahjoob), Marco De Angelis, Caricatures Devo, Dusault, Damien Glez, Hédrich, Jancry, Michel Kichka, Kristian Dessinateur, Mykaia Tramoni Caparros, Eric Laplace alias Placide, Lasserpe dessinateur, Pancho, Plantu, Ray Clid, Víctor Solís – Visoor, Vomorin, Vuillemin, Yassin Latrache alias yas et Jeff Ysope pour leurs dessins.


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