LIBRES PAROLES : KIANOUSH RAMEZANI, Un homme libre
Pour Kianoush Ramezani, dessinateur de presse iranien réfugié depuis 2010 à Paris, prendre le Crayon correspond à un acte militant. Chacun de ses dessins est un combat pour la défense de la liberté d’expression. Présent au 5ème Festival international de la Caricature, du dessin de presse et de la satire, à l’Estaque, dans les quartiers nord de Marseille, le Crayon est allé à sa rencontre. Nous publions ici le fruit de cet entretien.
Le Crayon – Comment est née votre passion pour le dessin ? Pourquoi le dessin de presse ?
Kianoush Ramezani – J’ai dessiné quand j’étais très petit mais ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai découvert ce qu’est le dessin de presse. Tout de suite après j’ai fait ma première exposition. Et presque tout de suite après, j’étais invité à travailler avec des journaux locaux, dans ma région. Voilà comment je suis devenu dessinateur de presse à l’âge de 19 ans.
Le Crayon – Vous avez suivi une formation en école d’art ?
Kianoush Ramezani – Pas du tout ! Je n’ai pas étudié les arts. À l’université, j’ai étudié la biologie, puis l’horticulture. Mais au bout de 4 ans, j’ai décidé de quitter cette université pour devenir dessinateur de presse.
Le Crayon – Où viviez-vous ?
Kianoush Ramezani – Je suis né et j’ai grandi dans le nord de l’Iran. C’est une région qui est très verte. On y cultive le riz. On est à côté de la mer Caspienne. Le caviar d’Iran vient de ma région.
Le Crayon – Pourquoi avez-vous décidé de faire du dessin de presse votre métier ?
Kianoush Ramezani – J’avais des messages à passer, j’avais des idées sur la société, j’avais toujours des critiques. Adolescent j’ai perdu mon père qui avait été mis en prison. J’avais seize ans. Sans doute est-ce la raison qui m’a conduit à m’engager. J’ai toujours été sensible à la politique, à l’événement dans la société. L’être humain, la société, m’intéressent.
Le Crayon – À quelle date avez-vous quitté l’Iran ?
Kianoush Ramezani – En 2009 après l’élection présidentielle, la fameuse élection présidentielle qui n’était pas favorable aux jeunes générations, il y a eu une manifestation. Ce fut la première manifestation pacifique dans l’histoire de la Révolution islamique. Il y avait des millions de gens dans la rue. Sans violence. La réponse de l’État a été très violente. Ils ont torturé, ils ont tué, ils ont emprisonné les gens. Et moi, j’ai décidé de soutenir ces gens. Par le dessin. Il y avait des risques, mais je devais le faire. Je me suis engagé. Tout de suite après j’ai du quitter le pays. J’ai été à l’ambassade de France et heureusement j’ai reçu un visa touristique sans problème. Ainsi, j’ai quitté l’Iran.
Le Crayon – En 2011 vous organisez à Paris une exposition internationale de dessins de presse intitulée « l’Exil ».
Kianoush Ramezani – Oui, ce fut mon premier projet à caractère international. J’ai organisé une exposition internationale de dessins de presse en partenariat avec la Ville de Paris. Plus de cent dessinateurs du monde entier, ont participé. La Ville de Paris a financé ce projet. Grace à cette exposition et à son succès, j’ai été reconnu et finalement j’ai reçu une bourse pour la Cité Internationale des Arts.
Le Crayon – Avez-vous pu garder des liens avec votre pays ?
Kianoush Ramezani – Oui, toujours. Avec ma famille, avec mes amis, avec mes collègues. Grace aux réseaux sociaux, bien que ceux ci soient très contrôlés en Iran.
Le Crayon – Dans le film Fini de Rire d’Olivier Malvoisin, vous dites qu’internet est la seule fenêtre entre l’Iran et le monde. Dans ce même film vous affirmez également que les dessinateurs de presse représentent un danger encore plus grand pour le gouvernement Iranien et le régime des mollahs si ces dessinateurs s’organisent en réseau.
Kianoush Ramezani – Exactement !
Le Crayon – Quelle est la place des réseaux sociaux dans votre travail ?
Kianoush Ramezani – C’est la seule fenêtre pour nous. Le site Iran Human rights que j’ai cité tout à l’heure fonctionne comme un magazine, comme un journal.
Le Crayon – Vous avez dit que « Le dessinateur de presse est un militant qui défend la liberté d’expression. » Est-il possible aujourd’hui d’exercer son travail si on est dessinateur de presse en Iran ?
Kianoush Ramezani – Oui, on peut l’exercer. On peut même gagner énormément d’argent si on accepte les règles de l’État, si on accepte d’être utile pour la propagande. Le métier de dessinateur de presse en Iran est très avancé. Malheureusement, il y a une maison qui s’appelle La Maison de la Caricature Iranienne, qui est financée par l’État. Le mec qui gère cette maison est président directeur éternel de cette maison, il est lui même dessinateur de presse. Soit on accepte leurs règles, et on a du travail dans tous les journaux, soit on n’accepte pas et on est ignoré, bloqué et menacé comme moi.
Le Crayon – C’est cette Maison qui a notamment organisé une exposition sur la Shoah, suite à l’affaire des caricatures ?
Kianoush Ramezani – Exactement ! Toutes les expositions de caricatures en Iran, comme celle sur l’holocauste, passent par cette Maison. Elle en a le monopole.
Le Crayon – Cette exposition sur le thème de la Shoah, qui se présentait comme une riposte aux fait de caricaturer le Prophète Mohammed, m’amène à vous poser une autre question fondamentale. Pensez-vous que l’on puisse rire de tout ?
Kianoush Ramezani – Les Iraniens ne pensent pas comme les dessinateurs Français. Le dessin de presse n’est pas une question d’humour pour nous en Iran. Pour moi, dans les deux cas il y a manipulations. Pour les dessinateurs de Charlie c’était un acte de liberté totale.
J’ai soutenu Charlie Hebdo, mais moi même je n’ai jamais dessiné Mohammed car pour moi le métier de dessinateur de presse est un métier réfléchi. Si un jour je veux dessiner Mohamed, il faut que je me pose la question : pourquoi le faire ? Pour moi, dessiner Mohamed comme un acte seul n’est pas une preuve d’intelligence. Le dessin de presse a une influence sur la société, c’est un art intelligent et puissant. On doit réfléchir comment utiliser notre arme. On peut manipuler l’opinion publique. Moi, j’ai dessiné beaucoup les islamistes. C’est eux qui sont la vraie menace ; c’est eux qui posent le vrai problème. Mohammed a vécu il y a environ 1500 ans, aujourd’hui, nous sommes au XXI ème siècle. Aujourd’hui c’est la situation actuelle qui est importante. Si je veux critiquer l’islam intégriste, je dois par exemple avoir le courage de critiquer l’Arabie saoudite. Je dois avoir le courage de critiquer l’État Français sur le fait qu’il donne la médaille de la légion d’honneur à l’Arabie Saoudite. Ce n’est pas une compétition : Qui peut dessiner Mohamed, qui n’ose pas dessiner Mohammed. Ce jugement après l’affaire de Charlie m’a dégoutté en fait.
Le Crayon – Travaillez vous pour des journaux d’opposition au régime des mollahs ?
Kianoush Ramezani – Je me suis engagé à publier des dessins sur l’Iran chaque semaines pour un site sur les droits de l’Homme basé en Norvège qui a beaucoup de lecteurs en Iran.
Le Crayon – le nom de ce site ?
Kianoush Ramezani – Iran Human rights. C’est un site qui dénonce les abus contre les droits de l’homme en Iran. Chaque fois qu’il y a des exécutions. À part ca, j’observe le monde depuis la France et je dessine sur des sujets quelques soient le lieux où l’actualité se joue.
Le Crayon – L’exil a-t-il changé votre façon de dessiner ? Y a t-il un avant et un après ?
Kianoush Ramezani – Oui, bien sûr ! Suite à mon exil, la question de la liberté est prépondérante dans mes dessins.
Je suis aujourd’hui libre de dessiner tous les sujets qui sont aujourd’hui tabous en Iran. Par ailleurs je me sens toujours comme un étranger, avec un regard extérieur sur la France. Mon regard est toujours un regard d’étranger. J’observe, j’analyse depuis l’extérieur.
Le Crayon – Vous êtes le fondateur et le président de l’association « United Sketches ». En quoi consiste cette association ? Pourquoi l’avoir créée ?
Kianoush Ramezani – Dans un premier temps j’ai organisé une exposition « Sketch freedom » une exposition internationale en Suède. J’ai créé « United Sketches » en fonction de mon expérience personnelle en tant qu’exilé et réfugié. Quand on est réfugié, face à l’administration, on est zéro. Nos compétences professionnelles ne sont pas prises en compte. On est considéré comme des enfants. Beaucoup d’exilés, de réfugiés doivent changer de métier. C’est la raison pour laquelle j’ai créé cette association, pour aider les dessinateurs réfugiés. L’idée m’est venue en 2012. En 2015 cette association internationale a vue le jour. Elle a son siège à Caen, au Mémorial de Caen en Normandie, qui est notre principal sponsor.
Nous avons l’appui de la municipalité et de la région.
Le Crayon – Que pensez-vous de la décision prise par son directeur en avril 2015 de remettre à plus tard les rencontres prévues de dessinateurs, suite aux attentats de janvier?
Kianoush Ramezani – À mon avis ça été une décision sage et intelligente. Il faut savoir que le danger est réel. On n’est pas dessinateur de presse pour mourir. On est dessinateur de presse pour être vivant et être actif ! Il en était de la responsabilité de ce Centre qui nous soutient et nous protège. Il y a eu une compétition, à mon avis pas très intelligente. On est courageux si on dessine Mohamed, On est courageux si on dit : « Je suis Charlie ». Cette fièvre est finie. Elle a duré peut-être deux ou trois mois. Le Mémorial n’est pas entré dans ce jeu. La date a été changée pour celle du mois de septembre et depuis on a continué en rapport avec l’attentat historique du 11 septembre. Cela fait deux ans que nous organisons ces rencontres. Chaque 11 septembre. Pour moi cette décision a été intelligente.
Le Crayon – Quelle est, selon vous, la meilleure façon de combattre le fondamentalisme ?
Kianoush Ramezani – En donnant la parole à des gens comme moi, qui ont vécu dans des états islamiques. Qu’est-ce que cela veut dire de vivre dans un état islamique ? Par exemple à la télévision française on voit souvent des gens s’exprimer sur des choses qu’ils ne connaissent pas et ne comprennent pas. Il est important de donner la parole aux victimes des systèmes et états islamiques. En France il y a une expression qui dit « être plus catholique que le Pape », c’est le cas en France de nombreux islamistes. Ils ne pourraient d’ailleurs pas s’exprimer de la sorte alors que l’Iran est un état islamique. Le débat par exemple sur le burkini est un débat stupide. Il faut poser cette question aux femmes iraniennes. Qu’est-ce que vous pensez sur le burkini ? Vous verrez alors une opinion très différente. Les Français comprendrons alors pourquoi les femmes iraniennes détestent le hijab. Défendre le burkini, ce n’est pas défendre la liberté.
Le Crayon – Combien de dessinateurs fédérez-vous au sein de cette association ?
Kianoush Ramezani – L’association fédère aujourd’hui plus de 80 membres actifs originaires de 30 pays. Il nous arrive de refuser des membres. Pour nous la notion d’engagement est essentielle. Pour nous il est important de réunir des gens indépendants et engagés.
Le Crayon – En quoi cette organisation se distingue t-elle de Cartooning for Peace ?
Kianoush Ramezani – Son but n’est pas aussi large que celui de Cartooning for Peace. On s’occupe uniquement de la question des dessinateurs réfugiés. On est là pour trouver des solutions professionnelles pour eux. Qu’ils puissent travailler. C’est notre but et c’est çà notre différence.
Le Crayon – Où en est votre projet sur l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme affirmant que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression » ? Pourquoi un tel projet ?
Kianoush Ramezani – Ce projet est le premier que j’ai lancé en dehors du dessin de presse. J’ai demandé à des clients d’un café de lire devant ma caméra l’article 19 des droits de l’Homme. Ce dans leurs langues maternelles. Ces lectures m’ont inspiré des dessins qui ont donné lieu à une exposition regroupant mes dessins et ces vidéos. Il est important de rappeler cet article 19. Malheureusement cet article 19 est peu présent dans la société. Si vous posez la question : Connaissez vous l’article 19 des droits de l’Homme beaucoup de gens vous répondent non ! Quand l’attentat contre Charlie a eu lieu, ce projet a pris encore plus d’importance pour moi. Je me sens de plus en plus engagé dans ce projet.
Le Crayon – Pour conclure, je souhaiterai vous poser encore une dernière question, relative à votre enfance. Vous souvenez-vous d’un fait, d’un évènement qui vous ait révolté lorsque vous étiez enfant ou adolescent? Pouvez-vous nous en parler ?
Kianoush Ramezani – J’avais 5 ans, il y avait la Révolution Islamique. La seule image dont je me souviens, c’est les gens pendus aux arbres dans ma ville natale. C’étaient soit disant des « méchants ». C’est une image que je n’oublierai jamais. Par la suite j’ai vu et connu la réalité de la cruauté du Régime de Khomeini. Depuis je déteste la révolution islamique comme beaucoup d’iraniens.
Entretien réalisé par Alexandre FAURE
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