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Libres Paroles : Smitha Bhandare Kamat, caricaturiste engagée et inspirée : Quand liberté d’expression rime avec compassion !

Libres Paroles : Smitha Bhandare Kamat, caricaturiste engagée et inspirée : Quand liberté d’expression rime avec compassion !

Smitha Bhandare Kamat vit et travaille à Panaji, la capitale de l’état de Goa, en Inde. Enseignante agrégée à S.S. Dempo College of Commerce and Economics, son engagement pour défendre la cause des femmes, des enfants et de l’éducation lui a valu de nombreuses distinctions. À cette popularité, elle préfère cependant le calme d’une vie intime dans laquelle elle puise son inspiration pour écrire et dessiner.

 

largelargeSon site facebook s’intitule, « A moment in time-Doodles and more », en français : «  gribouillages du moment. » Des « gribouillages » qui depuis son plus jeune âge décoraient les pages de ses cahiers d’école,  elle n’a jamais cessé d’en faire… Aujourd’hui certains d’entre eux   ont été employés comme carte de vœux pour célébrer la journée des droits de la femme, par le département d’études féminines de l’ I. G. N. N. O. U. , d’autres paraissent dans les magasines comme le « Goa today ». Ils expriment  un regard expert sur l’actualité,  une profonde  connaissance de la société  indienne , de son histoire  et  en même temps  , un sentiment  personnel et intime de compassion  à l’égard de toutes formes de souffrance, sentiment  qui sans cesse inspire ses « gribouillages ». Smitha Bhandare Kamat a accepté de répondre à nos questions et nous l’en remercions chaleureusement.

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Valérie Direz – En premier lieu, je voudrais que vous nous parliez de vous, qui êtes vous Smitha ?

Smitha Bhandare Kamat – Sur le plan professionnel, je suis une pédagogue, chroniqueuse et dessinatrice. Mais dans ma vie privée, je suis une rêveuse, je ne me sens pas en adéquation, je suis une personne très secrète, on pourrait presque dire une recluse. J’ai besoin de mon espace intime et je respecte celui des autres. Si j’ai le choix, je préfère lire, écrire, dessiner, écouter de la musique douce plutôt que de voir du monde. J’aime les enfants, les animaux. Je me sens terriblement affectée lorsque les enfants ou les femmes sont maltraités d’une façon ou d’une autre et c’est ça que j’exprime dans mes textes ou mes dessins de façon, il me semble, assez subtile et sobre plutôt que de manière expansive et puissante. De nombreux facteurs sont en jeux  dans ce sentiment inexplicable d’inadéquation,  mais il est aussi  un moteur puissant pour improviser et aller de l’avant.

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V.D. – Sur le plan artistique, vous êtes autodidacte, vous avez toujours dessiné et vos cahiers d’école sont remplis de «  gribouillis » dites-vous. Aujourd’hui, votre travail est reconnu, en 2016, vous avez participé à plusieurs expositions ( Indian Institut of Cartoonists,  Bangalor, Kerala Cartoon Academy’s ‘CariToon 2016’), l’un de vos dessins a été retenu pour réaliser la carte de vœux du Women’s Studies Department-IGNOU, quel a été votre parcours personnel pour arriver là ?

largelargeS.B.K. – Nous sommes une famille d’artistes, c’est aussi naturel que de respirer et cependant, même dans mes rêves les plus fous je n’imaginais pas qu’un jour je deviendrais dessinatrice. Ceci étant dit, je dois avouer que j’adore ça.  C’est  une aventure très stimulante sur les plans créatif et intellectuel. A cet égard ce sont les médias locaux et plus particulièrement les réseaux sociaux qui ont joué un rôle important pour faire connaitre mes dessins et avec cela, une chose en entrainant une autre, pour être acceptée et reconnue. Ce qui n’était à l’origine qu’un moyen de détente s’est finalement transformé en une expérience plus positive et constructive et je suis heureuse que les choses aient pris cette tournure.

 V.D. – Vous avez été l’une des premières dessinatrices à répondre à l’appel de notre association dans le cadre de l’organisation de l’exposition itinérante sur les droits des femmes, où en sont les droits des femmes aujourd’hui en Inde ? Pensez- vous à l’instar de Sharmila Tagore, la célèbre actrice que les parents ne doivent plus considérer que les filles sont inférieures aux garçons ? L’éducation est-elle LA solution pour faire face au poids  de la tradition ?

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S.B.K. – ” L’espoir a ses raisons”; Personnellement, je construis cet espoir en retournant à mes racines. J’observe de façon sélective l’âge Védique à ses débuts, lorsque les femmes étaient tenues en haute estime et respectées, la société d’alors était très égalitaire. Oui, j’adore faire des recherches sur cette époque que je vois comme une référence, un oasis dans un désert d’intolérance. A ce moment là, notre civilisation respectait ses femmes et je pense qu’il est important de savoir que nos ancêtres ne reléguaient pas les femmes au second plan ou les maltraitaient. Malheureusement, à un moment, l’image a été déformée  et l’équation s’est terriblement mal déroulée. Aujourd’hui, bien que la constitution indienne garantisse aux femmes l’égalité des droits, du fait d’un patriarcat profondément enraciné et d’une misogynie généralisée, les femmes doivent faire face à la discrimination, la violence, l’inégalité, l’iniquité. Et cependant, tout n’est pas perdu, il y a des femmes qui occupent des postes importants et qui de manière générale réussissent. Oui, elles sont peu nombreuses, mais elles offrent une lueur d’espoir aux autres femmes. Dans ce contexte, je suis parfaitement d’accord avec l’idée que l’éducation joue un rôle important dans l’émancipation des femmes. La connaissance ne libère pas seulement la  raison mais aussi l’esprit et rend les femmes plus fortes et indépendantes de plusieurs façons. De plus, l’éducation et le soutien des jeunes esprits en matière d’équité entre les sexes, d’égalité devrait sans aucun doute commencer à la maison et être complétés par une éducation formelle. De nos jours, les réseaux sociaux jouent un rôle prépondérant en ce qui concerne le débat sur le genre qui fait rage dans notre pays et influence les jeunes. La question du genre en tant que telle est une blessure collective qui fait souffrir notre société et au mieux elle a besoin d’être traitée avec compassion et nécessite un changement des mentalités et nous travaillons dans ce sens. Le gouvernement, les media et le public en général  s’inquiètent vraiment du fait qu’une société qui ne respecte pas ses femmes finira tôt ou tard par périr.

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V.D – Le journal satirique Charlie-Hebdo a connu en 2015 une attaque terroriste qui a fait 12 victimes. Depuis, cette tragédie a relancé le débat conflictuel sur la liberté d’expression et ses limites… Comment la liberté d’expression, en Inde, est-elle définie ? Au quotidien, quels obstacles cette idée rencontre-t-elle pour sa mise en œuvre ?

largeS.B.K. – La tragédie de Charlie-Hebdo a probablement marqué un tournant dans l’histoire de la caricature, redéfinissant l’art et les artistes. Cela a eu de telles répercussions que des liens se sont tissés entre les sociétés à travers le monde, unissant d’une part toute l’humanité et exigeant d’autre part beaucoup d’examen de conscience. En ce qui concerne l’Inde, un pays connu pour sa diversité laquelle constitue l’âme de cette société plurielle, il y a un nombre incroyable de coutumes, de traditions, de religions, de langues ce qui est très séduisant et en même temps pose de véritables défis. Aujourd’hui, en tant que nation, nous sommes dans une période où l’idée  « que la vérité est multiple » est acquise. Les points de vue, les opinions contradictoires n’ont jamais été aussi diffusées. A nouveau, les réseaux sociaux jouent un rôle cruciale en rendant plus aisé l’engagement des citoyens et les actions collectives. L’article 19-1 (A) de la constitution indienne garantit à tous les citoyens la liberté d’expression. Néanmoins, nous avons des cas où les caricaturistes sont mis derrière les barreaux, les films et les livres censurés/interdits, la créativité restreinte, etc. Cependant, elle ne décourage pas la culture des protestations et des manifestations; les gens en général et les médias en particulier exercent généralement leur liberté de s’exprimer et demandent  que leurs problèmes soient réglés. C’est la foi en la Constitution, la liberté personnelle et sociétale qu’elle garantit qui permet à cette république démocratique laïque de croître et d’évoluer.

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V.D. – Vous avez dit : «  Les dessins sont un medium très puissant que chacun interprète à sa façon. Malheureusement ils ne déclenchent pas nécessairement  des rires et  des sourires mais aussi parfois  la violence et la mort. »  En tant que dessinatrice quel est votre sentiment personnel, y  a-t-il des thèmes, des domaines que vous ne souhaitez pas aborder et donc que vous ne commentez pas  à travers vos dessins,   pourquoi ?

largelargeS.B.K. – Mon album de dessins s’intitule justement “ Avec une pincée de sel”. Je pense que nous avons perdu, à un certain moment, l’art subtil de rire et plus spécialement l’art de rire de nous-mêmes. Il est bien plus facile de rire des autres, de condamner et plus encore de juger. Malheureusement, il semble que nous traversions une période difficile, dans laquelle nous sommes vigoureusement en proie aux sentiments insensés d’insécurité et d’intolérance. Oui, en tant que caricaturiste, je m’abstiens de dessiner des caricatures concernant le domaine religieux, non pas parce que j’ai peur de la mort ou de la violence, mais plutôt parce que je pratique la religion hindou et applique le précepte « ‘Sarva Dharma Sambhava’ selon lequel toutes les religions, toutes les croyances sont égales et cette variété justement n’est rien d’autre qu’un outil pour atteindre cet objectif ultime qu’est la spiritualité. Un principe qui prône le respect mutuel et l’harmonie. Ceci a été pratiqué non seulement par nos sages et grandes personnalités comme Swami Vivekananda et Mahatma Gandhi dans le passé, mais encore aujourd’hui dans l’ensemble, il est très répandu dans nos vies quotidiennes et dans tous les domaines de la vie, quelle que soit notre foi. Je pense que la caricature est une arme à double tranchant qui doit être utilisée de manière consciencieuse et surtout responsable. J’aime l’utiliser comme un moyen pour guérir le monde….Pour conclure je veux citer Richard Rohr : « Ceux qui ne sont pas prêts à ressentir la douleur sous jacente, deviennent incapables de compassion- car c’est de là que vient la compassion, de la participation à la douleur du monde. »

Entretien réalisé par Valérie DIREZ

Smitha Bhandare Kamat en quelques dates :

29 Mai 1995 : Smitha perd son père dans un accident de la route. « Je n’ai pas pleuré, mais cet évènement malheureux a révélé en moi mon goût pour l’écriture et la poésie ».

1999 : Smitha devient  enseignante.

2009 – 2011 : Publication de dessins socio-politiques pour le Herald newspaper.

2011 – 2014 : Dessine pour le magazine féminin de Goa, Evescape, sur les problématiques liées aux femmes et aux enfants.

Depuis 2013 : caricaturiste pour le Goa Today.

Mai 2017 : Exposition de ses dessins à l’Indian Institute of Cartooniste.

2017 :  Elle reçoit le Prix d’Etat du Gouvernement de Goa dans le domaine de l’éducation.

Smitha Bhandare Kamat  fait partie du Comité international de caricaturistes qui se sont ralliées à notre projet d’exposition itinérante : «  Au bout du crayon, les droits des femmes : caricatures, dessins de presse et liberté d’expression » que Le Crayon organise pour 2018 en partenariat avec France-Cartoons et le Festival du Dessin de Presse et de la Caricature de l’Estaque (FIDEP).

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