LIBRES PAROLES : POUR SWAHA, CARICATURISTE FRANCO – LIBANAISE, LE DESSIN DE PRESSE EST UNE ARME À LA PUISSANCE REDOUTABLE
Christiane Boustani est devenue la caricaturiste Swaha par nécessité, dans l’urgence de la révolte. C’était en juillet 2006 quand la guerre du Liban a éclaté. Elle a fait une pause en 2012. Et reprend le crayon quand l’actualité l’exige, quand elle sent que le crayon frémit de rage ou de douleur au bout de sa main.
Enfant, Swaha a connu la guerre. Plus tard, la nécessité de dessiner s’est faite sentir à chaque événement tragique, provoquant sa révolte et son chagrin. Le crayon lui est un outil pour dire cette révolte et ce chagrin. Pas de grandes démonstrations : le trait est précis, dynamique, rien ne flotte, ce qu’elle veut dire l’est avec efficacité dans des espaces sobres, délimités, aux teintes légères comme des évidences. Les mots ont la même force de certitude tranquille, violents comme les colères froides. L’humour des mots est noir, glacé, sans impatience.
Cette grande dessinatrice porte un regard aigu et pertinent sur l’actualité politique du monde. Elle participe à l’exposition itinérante « Au bout du Crayon, les Droits des Femmes, caricatures, dessins de presse et liberté d’expression » et elle a bien voulu répondre à nos questions et nous l’en remercions.
Le Crayon – Swaha, vous êtes née au Liban. Pouvez-vous nous parler de votre enfance, de votre parcours, de vos études ?
Swaha – J’ai quitté le Liban avec ma famille en 1989, de nuit, en pleine guerre civile.
Avant notre départ, je me souviens que, enfant, je dessinais déjà, dans l’abri souterrain de notre immeuble, à la lumière des bougies, sur fond sonore de flashs à la radio et d’explosions de mortiers qui tombaient à quelques mètres. Nous avons vécu quelques années à Gien, où j’ai poursuivi ma scolarité et étudié le piano. A cette époque, j’apprenais à croquer la tête de Mitterrand en m’inspirant des dessins que je voyais dans les journaux.
De retour au Liban, j’ai décroché un ‘master’ en Publicité. Après une brève expérience en agence, j’ai choisi de travailler à mon compte.
Le Crayon – Très jeune, avez-vous eu conscience de la différence des droits entre les hommes et les femmes ?
Swaha – Pas vraiment… Le contexte familial dans lequel j’ai baignée ne m’a jamais fait sentir de différence entre les droits des hommes et des femmes.
Le Crayon – Comment se porte la caricature au Liban ? Le fait d’être une femme a-t-il été un obstacle pour vous exprimer ? Ou plus généralement, est-ce que la parole est bâillonnée ou dangereuse dans votre pays ?
Swaha – Le dessin de presse est plutôt discret au Liban… Les quelques dessinateurs de presse locaux se comptent sur les doigts de la main. Etre un femme caricaturiste n’est pas un obstacle au Liban. Nous jouissons d’une liberté d’expression assez confortable ; par contre, il y a des sujets sensibles qu’il est délicat de traiter en dessins. Les représentants religieux, parfois politiques, la religion en général et Israël sont autant de sujets à traiter avec précaution
Le Crayon – Quelle est la situation des femmes au Liban ? Egalité dans le travail, l’éducation, la parole ?
Swaha – Dans la constitution, les droits des hommes et des femmes sont égaux. Seulement au Liban, il existe 18 confessions et la religion a un poids important dans la société et dans le système politique ; et naturellement, elle a une influence certaine sur les droits et le vécu des femmes dans certaines régions, notamment rurales. Mais globalement, la situation de la femme au Liban se porte bien mieux que dans beaucoup de pays arabes.
Le Crayon – Ce dessin où l’on voit se suivre des barbus qui se réduisent finalement à un sexe féminin est particulièrement intrigant. Il suscite le rire mais est l’objet d’interprétations diverses. Quelle est la vôtre ?
Swaha – Oui, j’avoue que cette image m’est venue assez spontanément il y a quelques années… Et elle me fait sourire toujours autant !
On peut la lire de plusieurs façons, en effet. Je la considère comme un pied de nez aux fanatiques religieux de tous bords, leur rappelant qu’ils proviennent tous d’une femme !
Que, sans elle, ils ne seraient pas de ce monde.
Le Crayon -Le pouvoir du dessin. Vous dites, « un dessin c’est une idée ». Ce pouvoir peut–il aider à changer les choses ? Quelles sont les idées les plus fortes que vous voudriez faire passer ? Vous vous représentez à côté d’un crayon qui est aussi une balle tueuse. Est-ce ainsi que vous envisagez votre action de caricaturiste ?
Swaha – Tout changement commence par une idée. Mais une idée seule, ça reste une idée.
Le Crayon – L’Arabie saoudite et l’enfermement des femmes. Pensez-vous que le prince héritier Mohammed ben Salmane Al Saoud va apporter quelque liberté aux femmes ?
Swaha – Je pense que la vraie libération de la femme saoudienne ne peut venir que de la femme saoudienne elle-même. Des mesurettes prises ici et là, en surface, sont certes positives, mais n’apporteront pas de changement des mentalités en profondeur.
Le Crayon -Plusieurs dessins mettent en scène la question des rapports Israël-Palestine. Pouvez-vous nous en parler ? La cloche « Jerusalem » qui appuie sur les rapports d’Israel et des USA me fait penser à la boite de Pandore …
Swaha – Oui, une boite de Pandore qui a eu les conséquences tragiques que nous connaissons..
La situation des Palestiniens est avant tout humaine. Être témoin passif de ces massacres est difficilement supportable. Dans mes dessins sur les rapports Israël-Palestine, j’exprime cette douleur et cette révolte.
Le Crayon – Etre caricaturiste, c’est être responsable de ses images. C’est dire, plus efficacement encore qu’avec des mots. C’est pointer là où ça fait mal, choquer, pour être plus efficace. Mais jusqu’où pouvez-vous aller ?
Swaha – Choquer pour choquer, n’a pas grand intérêt. La responsabilité est grande, oui. Par exemple mes deux dessins sur l’attentat de Nice avaient déclenché des réactions très contrastées sur les réseaux sociaux. Certains internautes – dont des personnes proches des victimes – les ont jugés indécents, alors que beaucoup d’autres ont reconnu, dans ces deux images, le choc ressenti suite à cette tragédie.
Le Crayon – Nombre de vos dessins concernent la France. Certains visent Marine Le Pen. Avez-vous craint son élection à la présidence de la République ?
Swaha – Comme beaucoup de citoyens, j’ai eu cette crainte, oui. En tant que Franco-Libanaise, je suis naturellement sensible à tout ce qui se passe en France.
Le Crayon -Vous êtes sur France 24. Comment cela se passe-t-il ? Est-ce vous qui proposez des dessins au fil de l’actualité française et internationale ou France 24 vous fait-elle des commandes ?
Swaha – La publication de mes dessins pendant près de deux ans, sur France 24, se faisait via Cartooning For Peace. Suite à un profond désaccord, j’ai choisi de mettre fin à cette collaboration.
Le Crayon – Votre plus cher désir est de faire de la caricature votre seul métier. Est-ce parce que vous croyez fortement au pouvoir d’éducation de la caricature ? ou (et) est-ce parce que c’est un métier très politique et que c’est cette orientation qui vous intéresse ?
Swaha – Au jour d’aujourd’hui, j’ai perdu toute illusion concernant cette voie. Il y a eu des déceptions, des doutes, mais aussi des encouragements… Pour le moment, je fais une pause, mais je n’abandonne pas cette activité, non pas par affinité particulière pour la politique, mais plutôt pour la dimension humaine et sociale que cet outil me permet de traiter, et d’exprimer, en dessin.
Entretien réalisé par Heliane BERNARD
SWAHA EN QUELQUES MOTS :
Actuellement directrice artistique, illustratrice, professeur de piano et de dessin.
A collaboré en tant que dessinatrice de presse avec Al Akhbar (quotidien libanais arabophone), Al Hasnaa, (1er mensuel féminin panarabe), le Commerce du Levant, Le Monde édition Proche Orient , Femme Magazine ( de 2004 à 2010), le mensuel satirique Ad Dabbour (2014), France 24 , dans une Semaine Dans le monde ( 2015 à 2017)
Membre de Cartoon Movement depuis 2015.
Swaha est aujourd’hui indépendante.
Christine Boustani alias Swaha fait partie du Comité international de caricaturistes qui se sont ralliées à notre projet d’exposition itinérante : « Au bout du crayon, les droits des femmes : caricatures, dessins de presse et liberté d’expression » que Le Crayon organise pour 2018 en partenariat avec France-Cartoons et le Festival du Dessin de Presse et de la Caricature de l’Estaque (FIDEP).
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