Libres paroles : Marie-Thérèse Besson
Marie-Thérèse Besson, Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France, première obédience maçonnique féminine au monde, répond au Crayon à l’occasion de la commémoration de la naissance de la Loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’Etat, votée le 9 décembre de cette même année. Nous la remercions vivement de nous avoir accordé cette interview.
Le Crayon – La France célèbre ce 9 décembre, la loi de 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, quelle est la position de la Grande Loge Féminine de France face à la laïcité ? Cette position fait-elle l’unanimité ?
Marie-Thérèse Besson – La Franc-Maçonnerie (FM) en général et la Grande Loge Féminine de France (GLFF) en particulier refuse tous les dogmes : toute croyance ressort strictement de convictions personnelles et ne peut être ni imposée ni considérée comme une vérité universelle et absolue.
La recherche d’une FM se situe en dehors et au-delà de l’horizon religieux et politique. La laïcité fait partie intrinsèquement de la démarche maçonnique en tant que philosophie qui conduit à la construction d’un humanisme moderne. Nous sommes inquiètes actuellement des replis communautaires.
La franc-maçonnerie travaille aux côtés d’autres communautés spirituelles à l’amélioration et au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Et parmi nos devoirs, est celui d’aimer et de défendre notre patrie contre l’obscurantisme religieux et spirituel, la scission et l’injustice sociale, l’ignorance et le mépris de l’autre. Pour cela, nous affirmons, entre autres principes, notre conviction en la laïcité, garante de la liberté de conscience, de croyance et d’exercice des cultes. « Liberté, Egalité, Fraternité » sont les valeurs à porter pour vivre dans un monde plus humaniste et plus solidaire.
Nous, Franc-maçonnes de la Grande Loge Féminine de France, fortes de nos convictions humanistes, nous aspirons à une communauté fraternelle, riche de sa diversité où la paix serait le ciment d’une société libre, juste et démocratique.
La culture de la non-violence intellectuelle, spirituelle et physique, sans préjugés ni discrimination d’aucune sorte, favorise le respect de la vie et la dignité de chaque être humain. C’est pourquoi, l’éducation doit jouer un rôle majeur dans l’apprentissage, apprend à se connaître, à respecter les différences et l’égalité des sexes, à s’ouvrir au changement, à vaincre l’égoïsme et à développer le sens de la responsabilité.
Le Crayon – Faites-vous dans le domaine de la laïcité, des propositions concrètes au gouvernement français ? Si oui lesquelles ?
Marie-Thérèse Besson – Nous sommes sollicitées, en particulier par le Sénat, pour répondre sur des sujets en lien avec la laïcité, par exemple la bioéthique car dans ce domaine, la mise à distance du religieux permet de dépassionner les débats tout en prônant des actions à l’écart de toute pensée dogmatique.
Nous avons aussi été auditionnées sur la fin de vie et nous pouvons évoquer les mêmes arguments (nous sommes d’ailleurs favorable à un aménagement de la loi). Nous travaillons également en lien étroit avec l’Observatoire de la laïcité.
Le Crayon – Dans de nombreux pays on invoque le « sentiment des croyants » pour museler les médias. Quelle est votre position ?
Marie-Thérèse Besson – Je vais vous répondre en évoquant l’universalité et sa place dans notre parcours.
La méthode maçonnique est un outil de progression personnelle qui utilise le symbolisme comme instrument de compréhension de l’humain et du fonctionnement du monde. Elle s’appuie sur des valeurs universelles présentes dans toutes les traditions humaines.
Cette notion d’universalité fut magnifiquement développée par Jules Ferry dans son discours célèbre aux enseignants pour défendre l’école laïque.
Je cite : « ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. Si étroit que vous semble peut-être un cercle d’action ainsi tracé, faites-vous un devoir d’honneur de n’en jamais sortir, restez en deçà de cette limite plutôt que vous exposer à la franchir : vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l’enfant. »
Ces valeurs peuvent être portées par un catholique, un juif, un musulman, un bouddhiste, un athée, l’un y trouve l’expression de sa croyance en une transcendance, un autre parlera d’immanence, un autre encore de la religion de l’homme, pourvu que tous continuent à s’interroger sur leur destin commun et d’affirmer la dignité et le respect de tout être humain surtout si il est différent de soi.
Dans notre monde globalisé qui crée des tensions économiques, des souffrances individuelles, des incertitudes et de la précarité, nous devons affirmer de plus en plus fort que le refus de toutes les intolérances et de toutes les exclusions, est le fondement du vivre ensemble et de la Fraternité.
Alors, c’est quoi le « sentiment des croyants « ? En quoi cela fait-il sens et permet d’empêcher un mode d’expression ?
Le Crayon – Peut-on s’exprimer vraiment librement dans vos loges ?
Marie-Thérèse Besson – Bien évidemment ! La loge est le lieu de la laïcité par excellence, un espace de liberté, hors de tout dogme, où la parole est libre et écoutée.
C’est le lieu du débat, dans le respect de la parole de l’autre. Nous ne recherchons pas le consensus, mais chacune exprime son point de vue, l’argumente. Les différences, chez nous, sont des richesses et non des obstacles.
Je rappelle une fois encore que dans nos loges nous ne parlons ni de politique, au sens politicien du terme, ni de religion.
Par ailleurs, chaque année, un sujet portant sur le thème de la laïcité est étudié par chacune de nos loges et une synthèse nationale réalisée, laquelle vient alimenter les réflexions de notre commission nationale de la laïcité.
Le sujet de 2015 était : « le monde est dangereux à vivre, non pas tant à cause de ceux qui font le mal mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire »; une phrase d’Albert Einstein.
Le Crayon – La GLFF œuvre dans de nombreux pays. Que faites-vous pour l’émancipation des femmes dans les pays qui ne leur accordent que peu de liberté ? Comment pouvez-vous agir ?
Marie-Thérèse Besson – Le respect de la laïcité est essentiel voir vital pour les femmes. Ce sont elles qui sont les premières victimes de toutes les régressions. Ce sont les premières victimes des guerres, le viol est institué en arme de destruction.
L’extrémisme religieux relève de l’obscurantisme. Ce sont les âmes éduquées qui trouvent la force de lutter et d’équilibrer le monde.
Nous nous efforçons donc, dans nos loges, d’élever la prise de conscience, l’éducation des femmes.
Nous devons apprendre aux femmes leurs droits et les aider à contourner ces pressions car elles sont doublement victimes.
Nous initions dans nos loges des femmes de tous les pays, en Afrique, au Moyen Orient, dans les pays de l’est, etc……
La FM est une éducation de l’esprit, elle apprend à réfléchir.
Par ailleurs nous avons créé à la GLFF l’institut Maçonnique Européen (IME) qui nous permet de faire entendre notre voix à Bruxelles dans le cadre de la commission européenne sur le droit des femmes.
La Grande Loge Féminine de France s’est donnée comme mission grâce à cet institut non seulement de faire entendre la voix des femmes au sein des instances européennes, mais aussi de défendre le concept laïcité car il est une protection essentielle des citoyennes et des citoyens accordant à tous la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer sa religion dans sa sphère privée, sans porter atteinte à la liberté d’autrui et au vivre ensemble.
Le Crayon – Compte tenu des menaces terroristes et de la montée des fondamentalismes qui pèsent sur nous tous quels sont vos projets ?
Marie-Thérèse Besson – Réaffirmons tout d’abord que ce qui permet « le vivre ensemble », c’est le respect des autres et de soi-même. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est la Loi dont toutes les nations se sont dotées pour enrayer toute discrimination, haine, violence contre une personne en prétextant de son origine, de son appartenance à une ethnie déterminée.
La question de l’utilité d’un renforcement législatif dans notre pays se pose à la suite des évènements récents.
Et lorsque la lâcheté menace la cohésion sociale, il n’est jamais trop tard pour faire barrage à la haine et au mépris en réaffirmant les valeurs humanistes auprès de tous et notamment auprès de la jeunesse.
Nous organisons d’ailleurs à Paris, le 2 avril 2016, un colloque sur et avec la jeunesse, avec une autre obédience maçonnique, la Grande Loge de France.
Les principales obédiences maçonniques françaises vont bientôt se rencontrer et nous allons réfléchir ensemble à ce que pourrait être un « après 13 novembre ».
Tous ces actes odieux ont déclenché une formidable incarnation : celle d’un peuple debout, d’un éveil des consciences ; tous nous devons crier notre attachement aux valeurs et aux principes qui ont façonné notre pays.
Nos serments de FM nous engagent à agir. Nous devons sublimer la haine, lutter contre la folie humaine en nous appuyant sur notre devise : Liberté-Egalité-Fraternité. Parce que la FM a pour objet la recherche constante et sans limite de la vérité et de la justice nous nous attacherons à construire un monde plus éclairé.
Le Crayon – autre question ?
Marie-Thérèse Besson – Plutôt une conclusion : nous sommes des femmes initiées, guidées par l’espérance, et, à ce titre, nous nous efforçons d’œuvrer avec lucidité, de ne jamais nous renier.
Véritable clé de voûte de notre république et de notre démocratie, la laïcité représente un atout essentiel à la paix sociale et à l’unité de notre pays en cette période de confusion.
La GLFF (extrait de notre déclaration de principes) « proclame sa fidélité à la Patrie, ainsi que son indéfectible attachement aux principes de Liberté, de Tolérance, de respect des autres et de soi-même ».
Entretien réalisé par Alexandre FAURE
Tous les dessins présentés dans le cadre de cet entretien ont été choisis par Le Crayon pour accompagner les propos de Marie-Thérèse Besson et non pas pour les illustrer. Nous en remercions leurs auteurs ou leurs proches :
Beatrice Alemagna, Gébé (1929-2004), Kek, Chimulus, Olivero, Pancho, Wolinski (1934 – 7 janvier 2015), Jiho, et François Olislaeger.
Autres articles traitant de la laïcité :
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