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LES FIGURES DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION : LOUISE MICHEL

LES FIGURES DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION : LOUISE MICHEL

Heliane Bernard retrace les portraits qui ont marqué l’Histoire de la Liberté d’expression.
Aujourd’hui : Louise Michel (1830-1905).

 

LES COMBATTANTS : LEUR ARME C’EST LA PLUME !

large« Mon idéal était à vingt ans, et même bien longtemps auparavant, ce qu’il est aujourd’hui : l’humanité haute et libre sur la terre libre » (Lettre à Monsieur Jean-Bernard)
Figure de proue du mouvement révolutionnaire du XIXème siècle, Louise Michel a été avant tout une femme engagée, révoltée par les injustices sociales et farouche défenderesse des droits de la femme et des enfants.

Louise Michel, une bâtarde aimée. Sa mère, Marianne, est servante. On ne sait pas si elle est la fille illégitime du châtelain, Etienne-Charles Demahis, ou de son fils Laurent. Quoiqu’il en soit, elle est élevée au château de Vroncourt (Haute Marne), malgré les probables humiliations, dans une famille aimante, entourée par des gens cultivés. Elle profite de la tendresse de sa « grand mère », Madame Demahis, qui lui apprend à lire, le piano, tandis que Monsieur Demahis, lui lit Voltaire ou Molière. On l’imagine ardente et rêveuse, vive, rebelle.

Formidablement laïque et bientôt républicaine. Elle ouvre à 22 ans une école à Audeloncourt. Sa volonté : apporter du savoir aux enfants pour les bien « élever ». En 1857, elle part à Paris et s’y installe. Là, elle enseigne, milite, s’engage en politique. Elle se lie avec des écrivains et poètes. Elle prendra la plume jusqu’à son dernier jour : Lettres, discours, pièces de théâtre, romans, contes. Elle vient de rencontrer Victor Hugo. Elle lui vouera un culte  passionné et poursuivra avec lui une longue relation épistolière où se révèle une femme généreuse, déjà exaltée, attentive aux injustices sociales.
En 1865, la famille Demahis lui achète une école rue des Cloys à Paris. Elle y pratique un enseignement vivant et participatif. Ses activités d’enseignante ne l’empêchent pas de continuer à fréquenter les cercles politiques de gauche.

1870 Louise a quarante ans. C’est à ce moment-là que sa vie et l’Histoire se mêlent étroitement. Habillée en homme, armée d’un poignard, elle assiste aux obsèques de Victor Noir, journaliste républicain, assassiné par un cousin de l’Empereur Napoléon III. La guerre oppose la France à la Prusse. Le 4 septembre, les Français sont défaits à Sedan. C’est la chute du Second Empire. Louise s’engage. Paris, la capitale, assiégée depuis septembre 1870, résiste. On mange les chats, les rats. Les enfants meurent. L’atroce côtoie le sublime. L’héroïsme se dresse dans la boue.

La Commune : Louise Michel est sur tous les fronts.

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Thiers, chef du pouvoir exécutif, signe avec les Prussiens, l’Armistice le 29 janvier 1871. La France capitule. Les révolutionnaires parisiens refusent la défaite et l’armistice. Ils se battront. L’Assemblée Nationale prend peur et se transfère à Versailles. Les comités de vigilance dont Louise fait partie veillent sur les dépôts d’armes. Ils accusent Thiers de se soumettre à l’ennemi. C’est l’insurrection. Le 28 Mars, la Commune est proclamée. Louise Michel est sur tous les fronts, portant secours aux familles, aux blessés, aux  enfants.

22 au 28 mai 1871 : la semaine sanglante. En avril, les « versaillais » attaquent. La guerre civile, la guerre la plus abominable qui soit est à l’œuvre. La répression commence. Louise se  bat à Neuilly, Clamart, Issy-les-Moulineaux. Malgré le courage des parisiens, les troupes versaillaises entrent dans Paris. Les communards sont exécutés, fusillés, assassinés. Femmes, enfants, hommes, jeunes, vieux sont sauvagement massacrés. Dès que Louise apprend l’arrestation de sa mère, elle se rend. Theophile Ferré, son grand et jeune ami, est exécuté le 28 novembre 1871. Louise passe devant le Conseil de Guerre en décembre.

Victor Hugo prend sa défense (1). Elle est condamnée à la déportation.

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à gauche : © cliché Fontange, Musée de l’histoire vivante de Montreuil. Avec nos remerciements

Vers la Nouvelle Calédonie. Fin août 1873, elle est embarquée pour la Nouvelle Calédonie. Pendant sept ans, elle va lutter pour sa survie et celle des autres, contre les maladies, la dureté, la bestialité des gardiens. Elle lutte aux côtés des Canaques. C’est à ce moment-là qu’elle se déclare anarchiste.
Etudiant et respectant la civilisation des Canaques, elle veut aussi les éduquer, leur apprendre à lire. Elle recueille leurs légendes, observe la faune et  la flore. C’est une pionnière dans cette attention à un pays nouveau où faune, flore et indigènes l’émerveillent. Dans une lettre à Victor Hugo  du 3 août 1876 : ne me plaignez pas, j’aime ce désert, et puis les exilés reviennent toujours.

Mai 1879, institutrice à Nouméa : son sort s’améliore. La loi des cinq ans lui permet de s’installer à Nouméa et d’enseigner. Elle peut donner des leçons à l’école communale des filles et à des enfants de déportés. La vie est donc pour moi plus facile ici qu’à la presqu’île. On lui propose son amnistie. Elle veut une amnistie générale : Arrière les lâches qui implorent …jamais je ne sortirai d’ici qu’avec tous  (Lettre du 18 juillet 1879 au Citoyen Clemenceau).

Amnistiée en 1880, elle fait un retour triomphal en France, le 9 novembre. Elle reprend le combat, participe aux manifestations de chômeurs, est à nouveau arrêtée et incarcérée à la  prison de Saint Lazare. Elle se sert des journaux pour répondre à ses détracteurs, affirmer ses idées sur la liberté, celle des femmes, pour attaquer les politiques et la politique. La presse profite d’elle. Elle profite de la presse.
Le personnage, haut en couleur, est adoré ou insulté. Louise ne peut faire un geste sans être épiée, suivie, espionnée. Tout son entourage est surveillé, interrogé. Les dénonciations calomnieuses, les chausse–trappes ne manquent pas. Les mouchards et provocateurs pullulent autour de ce personnage qui, s’il est révolutionnaire n’est pas méfiant.

Le 9 mars 1883 : Louise Michel mène aux Invalides une manifestation  qui dégénère en pillage de trois boulangeries. Elle est arrêtée.
« Le peuple meurt de faim, et il n’a pas même le droit de dire qu’il meurt de faim. Eh bien, moi, j’ai pris le drapeau noir et j’ai été dire que le peuple était sans travail et sans pain. Voilà mon crime. Vous le jugerez comme vous voudrez », dit-elle pendant son procès.

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Nouvelle condamnation à six ans de réclusion. Graciée par le président, en janvier 1886, elle court à nouveau les manifestations, écrit aux journaux, prend la parole, dénonce les injustices, le sort des femmes, des enfants, intervient en faveur des mineurs de Decazeville, est condamnée à nouveau pour ses discours incendiaires. Le mythe s’enracine et se répand d’une virago sanglante.

« Il y a assez de caricatures de moi pour mettre sous les saloperies qu’on ajouterait ». (Lettre du 12 décembre 1885).

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1890 Folle ? A nouveau la prison : Elle est à Vienne. Elle prépare un  grand discours pour le 1er mai. Arrêtée et incarcérée, elle est jugée « folle », lorsqu’elle démolit sa cellule à la prison de Vienne.  Le médecin demande son internement. Le gouvernement, qui craint la réaction du peuple, s’y oppose. De discours en condamnations, Louise se bat, toujours pour la cause des pauvres, pour une « République sociale ».

Juillet 1890 : Londres. Toujours surveillée, Louise s’exile à Londres. Elle y ouvre une école internationale. Sans cesser d’écrire, de manifester, elle va en Belgique, en Hollande, en Algérie, encore persécutée par la police et la justice. A Londres, les débats sont houleux entre socialistes et anarchistes. Louise, au Congrès International Socialiste de Londres en 1896, confirme son choix : l’anarchisme.

1898 : « Les souvenirs sur la Commune » sont terminés.
« Ecrire ce livre, c’est revivre les jours terribles où la liberté nous frôlant de son aile s’envola de l’abattoir ; c’est rouvrir la fosse sanglante où sous le dôme tragique de l’incendie s’endormit la Commune belle pour ses noces avec la mort, les noces rouges du martyre »

Désormais, sa vie est une suite de voyages entre Londres, Paris, la Province où elle anime des meetings. Ni les menaces, ni les injures ne l’arrêtent. C’est une vedette qui sait se faire entendre de la presse. Elle aime la foule, « cette grande foule grondante que j’aimais tant autrefois et que j’aime plus encore. » Elle s’enivre de cette houle qui l’acclame ou la conspue.

13 septembre 1903 : une Sœur libertaire au Droit Humain. Sollicitée par les Francs-Maçons, Louise est initiée et fait sa première conférence à la Loge Diderot. Cette affiliation n’arrangera pas sa réputation !
Ses tournées l’épuisent. Malade, elle poursuit ses combats. Elle meurt à Marseille le 7 janvier 1905. Une foule immense suit son cercueil le 21 janvier à Paris. Elle est enterrée à Levallois-Perret.

Cette grande généreuse féministe s’est trouvée dans les tourmentes de la naissance du mouvement ouvrier, oeuvrant sans relâche, sans peur, pour un enseignement laïque, concret, républicain. Sa personnalité en a fait la proie des  ennemis de la liberté des femmes, des bien-pensants vautrés dans leurs certitudes et leurs habitudes. Athée et anticléricale, c’est une femme dérangeante : « Il est temps que la fraternité remplace la charité. Elle saura fonder des écoles démocratiques pour les enfants et donner du travail à la famille. » (Lettre de 1870). Les caricaturistes se sont joués de ce visage aux traits épais, de son allure de cheval en bataille. Aimée des pauvres parce qu’elle n’a cessé de leur prêter attention, elle était aussi haïe, célébrée, détestée. Chantée par Hugo et Verlaine, sa douceur était couverte par sa passion. C’était une utopiste libertaire qui croyait au progrès, à la paix, n’admettait ni le racisme, ni la colonisation. Plus que tout, Louise Michel était une humaniste.

Heliane Bernard

Remerciements : à Devo et à Tardi.

À lire : Louise Michel, Je vous écris de ma nuit, correspondances générale de Louise Michel, (1850-1904) édit. Etablies, annotée et présentée par Xavière Gautier, Les Editions de Paris.

(1) Louise Michel, avait adressé au poète plusieurs poèmes signés sous le pseudonyme d’Enjolras, l’un des républicains insurgés des Misérables. Ce poème de Victor Hugo, rédigé au moment du procès de Louise Michel avait pour titre initial « Louise Michel ».

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