LES FIGURES DE LA LIBERTE D’EXPRESSION : CHARLIE CHAPLIN
Chaplin a tout connu : la misère totale, puis la gloire. Pacifiste, il s’est élevé contre la guerre. Homme épris de liberté, il s’est dressé contre les totalitarismes. Insolent, il a pointé par l’image les travers du capitalisme, de la technologie, des dictatures.
UN CITOYEN DU MONDE
« L’humour renforce notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d’esprit. » (Chaplin)
« J’étais aux prises avec la faim. »
Charles Spencer Chaplin nait le 16 avril 1889 à Londres, à East Lane, Walworth. Son père Charles, et Hannah Hill, sa mère (nom de scène Lily Harley) sont tous les deux artistes de music-hall. Son père, alcoolique meurt en 1901. Sa mère, sujette à des crises de folie est internée lorsque Charlie a douze ans. C’est la misère noire. « En ces jours lointains, j’étais aux prises avec la faim, la peur du lendemain, la peur continuelle du lendemain. » Il a heureusement un frère ainé, Sydney, artiste lui aussi qui le soutient et le protège.
Vocation précoce : Un chapeau, une canne, une démarche
Charlie a cinq ans, dit-on, quand il monte sur les planches pour la première fois. Très rapidement il est engagé dans des troupes itinérantes avant de partir aux Etats-Unis. Sur le pont du bateau qui allait accoster, il s’écrie en montrant la ville, « Amérique, tiens-toi bien, je viens te conquérir.»
A partir de 1913, il est engagé pour tourner des films à la Keystone. Dès son second film, Kid Auto Races of Venice, il crée le personnage du Vagabond : Un petit chapeau melon, une petite moustache noire, un veston ajusté, une canne de bambou, une démarche de pingouin. Le succès est immédiat et sera mondial…
« J’ai l’impression que, lorsque je fais rire, j’ai commis une bonne action »
Les « Charlot » débarquent en France pendant la terrible guerre de 1914. C’est dire si ce personnage de génie arrive à un moment où on a besoin de son rire. Les soldats en permission, les blessés, les civils viennent devant les écrans oublier un moment les horreurs de la guerre meurtrière. « J’aurais bien voulu connaître ce nouveau poilu qui faisait se gondoler le front. » a dit Blaise Cendrars.
Pour imposer sa volonté Charlie Chaplin devient son propre réalisateur pour de très nombreux courts-métrages (Charlot fait la noce, Charlot marin, Charlot à la banque…).
La Mutual en1916 lui propose un contrat fabuleux. Il produit aussi ses propres films, Une vie de chien, puis le magnifique Charlot soldat, Idylle aux Champs, petits films où apparait le personnage poétique, joyeux, tragique et douloureux que l’on retrouvera plus tard.
Le Kid, un poème d’amour
Le succès grandit au point qu’il fonde avec David Waer Griffith et les comédiens Douglas Fairbanks et Mary Pickford, la Compagnies des Artistes Associés (United Artists). Son premier long métrage en 1921 sera Le Kid où se révèle sa profonde humanité à la fois d’un réalisme puissant, ironique et pitoyable, et poème d’amour incomparable. Il ira présenter le Kid à Londres, puis en France et en l’Allemagne. Partout c’est l’enthousiasme.
En 1922, il tourne Le Pèlerin, satire du puritanisme religieux. Après L’Opinion Publique (1923), mal accueilli et censuré dans quinze états de l’Union, ce sera La Ruée vers l’or ( 1925), un véritable triomphe. Dans le décor immensément blanc et solitaire de l’Alaska, le tragique et le rire insolent se joignent à la subtilité des sentiments. Charlot qui dort et rêve nous y offre la poétique et fameuse danse des petites pains où deux fourchettes piquées dans des petits pains simulent les jambes de danseuses.
Premier film sonore
Il y aura Le Cirque en 1928
et en 1931, il crée Lumière de la ville, son premier film sonore à l’intrigue simple : Un vagabond, une jeune fleuriste aveugle et un millionnaire fantaisiste, un appel à la lumière et à l’espoir, thème romantique au possible dont Chaplin compose en partie la musique. Le cinéma parlant vient de naître. Chaplin ne veut pas croire à cette forme d’art : « Les talkies…Ils viennent gâcher l’art le plus ancien du monde, l’art de la pantomime. Ils anéantissent la grande beauté du silence. »
Présenté à Londres, la première est un évènement dans toute l’Europe.
La voix du Vagabond
Avec Les Temps Modernes en 1936, le monde entend pour la première fois la voix du Vagabond dans une chanson. Il n’y a pas de dialogues mais une suite d’onomatopées. Charlot, maillon d’une chaine d’hommes esclaves de leurs machines, est finalement renvoyé à sa misère et à sa liberté… Avec la petite fille, aussi pauvre que lui, ils auront raison de la ville, des hommes, des lois de la société. Dans la scène finale, inoubliable, le couple s’éloigne sur la route, vers l’espérance. Chaplin, une fois encore, choisit l’humour et le rire pour montrer la misère et l’exploitation des hommes, et nous dire, qu’en dépit de tout, on peut y échapper par la poésie, le merveilleux de l’amour et l’esprit de liberté. Sévèrement accueilli, le film fut interdit en Allemagne. « Il se dégage de cet ensemble une velléité sournoise de satire, à l’arrière-goût de bolchévisme », dit un critique américain.
Il ne peut qu’être juif !
Dès les premiers succès de Chaplin, des rumeurs qui se veulent malveillantes, ont couru sur ses possibles origines juives. Ses décors rappellent les ghettos, sa verve, son humour, ses personnages, usuriers, barbier, boutiquiers…aussi. Libre, non conformiste, il gêne. On jalouse ses succès. Il est suspect, forcément suspect. Sa vie privée scandalise, ses opinions politiques de gauche ne sont pas du goût d’une presse américaine conservatrice et du FBI. Le dire juif, c’est le discréditer. Dans les années 1930, la propagande de l’Allemagne nazie de Hitler s’empare de ces rumeurs pour fustiger l’artiste et affirmer la domination juive dans l’industrie du cinéma. Charlie Chaplin, (comme son personnage Charlot) absolument a-religieux, n’a jamais ni contesté ni réfuté ces accusations. Il avait répondu à un journaliste qui l’interrogeait déjà en 1915 : « Je n’ai pas cette chance ».
Censure
Charlie est depuis longtemps interdit en Allemagne quand il décide en 1938 de tourner Le Dictateur, pamphlet sur Hitler, premier film parlant.
Pour empêcher le film, le consul allemand à Los Angeles intervient et l’Allemagne menace de de boycotter les films américains. Chaplin lui même est menacé.
1940, sortie du Dictateur. Charlie y est éblouissant dans le double rôle de la victime et du bourreau, arborant l’uniforme et la moustache caractéristique d’Hitler. Il y oppose la haine du dictateur et l’innocence du petit barbier juif, son sosie. Mais l’artiste dira, après la Seconde Guerre Mondiale : « Si j’avais su l’horreur réelle des camps de concentration allemands, je n’aurais pu réaliser Le Dictateur ; je n’aurais pu faire un jeu de la folie homicide des nazis. »
En France, interdit par le régime de Vichy, le film ne sortira qu’en 1945.
Charlot a laissé la place à Charlie Chaplin, l’artiste engagé qui n’a jamais eu peur de critiquer les sociétés qui laissent de côté les pauvres, ni les régimes politiques dictatoriaux fascistes, qui prennent racines et s’installent en Europe. Ce qui lui valut d’être étroitement surveillé dès les années vingt par le F.B.I. Le Dictateur, les idées pacifistes de Chaplin, son esprit frondeur et indépendant, alimenteront une terrible campagne de calomnies où l’artiste est accusé d’être communiste et amoral.
Vie privée agitée
Dans les années 1940, les adversaires de Chaplin, poussés par le F.B.I. tentent de l’abattre au moment où il est impliqué dans des procès liés à sa relation avec une jeune femme, Joan Barry. Ils orchestrent une campagne de diffamation. Accusé de « turpitudes morales », le scandale est encore plus grand quand il épouse en 1943 celle qui sera sa quatrième épouse, Oona O’Neil, fille du grand dramaturge Eugène O’Neil. Elle sera le grand amour de sa vie. Elle a 18 ans. Il en a 54.
Progressiste et amoral
En 1947, Monsieur Verdoux, une critique du capitalisme, est hué par la foule. On demande son interdiction. Poursuivi par le scandale de l’affaire Barry, accusé d’être communiste après qu’il eut fait campagne pendant la Seconde Guerre Mondiale pour l’ouverture d’un second front pour soulager l’URSS, il s’affiche à des réceptions organisées par des diplomates soviétiques, participe à des manifestations, proteste contre les expulsions de citoyens accusés d’être communistes. Harcelé par le FBI, il est sur la liste noire du maccarthisme. Dans le contexte de la Guerre Froide, Chaplin est considéré comme « dangereusement progressiste et amoral ». Une enquête est ouverte. Chaplin nie être communiste, mais se dit pacifiste. Le F.B.I. veut le chasser des États-Unis.
« …Je ne suis pas communiste, je suis un fauteur de paix. » déclare le 20 juillet 1945, Chaplin devant la Commission des activités anti-américaines.
« …Je me considère comme un citoyen du monde. Je suis internationaliste. J’aurais aussi bien pu naître en Birmanie, en Chine ou à Tombouctou. J’aurais été le même homme. » (Appel aux hommes)
Un représentant du Mississipi déclare en juin 1947 « Sa vie à Hollywood est nuisible au tissu moral des Etats-Unis… (S’il est expulsé) ses films répugnants pourront être gardés à l’écart des yeux de la jeunesse américaine. Nous devons l’expulser et nous en débarrasser une bonne fois pour toutes. »
1952 : Chaplin organise une première mondiale à Londres pour la sortie de son dernier film Les Feux de la rampe. Il embarque sur le paquebot Queen Elisabeth avec toute sa famille. Dès le lendemain, le procureur général des Etats-Unis révoque son visa : il ne pourrait y revenir qu’après une explication sur ses opinions politiques et sa moralité. Chaplin décide alors de rompre avec les Etats-Unis et de s’installer définitivement en Suisse.
« J’aurais voulu leur dire que plus tôt je serais débarrassé de cette atmosphère haineuse, mieux je serais, que j’étais fatigué des insultes et de l’arrogance morale de l’Amérique. »
Hommages mondiaux
1953 : A partir de cette date, les hommages mondiaux su succèdent.
1954 : En pleine Guerre Froide, Chaplin reçoit le Prix International de la Paix. Un comble pour cette Amérique qui l’a chassé ! Il tourne à Londres Un roi à New York dans lequel il ridiculise la chasse aux sorcières menée en Amérique.
1964 : sortie de son autobiographie.
1966, il tourne son dernier film, La Comtesse de Hong-Kong
Il meurt le 25 décembre 1977, entouré de sa famille, respecté et admiré universellement.
CHARLIE CHAPLIN, DES MILLIONS D’ÉTOILES ET DES MILLIONS DE RIRES.
Charlie Chaplin a mis dans les yeux et les têtes de millions d’enfants et d’adultes, des millions d’étoiles et des millions de rires. Incarnation du cinéma muet, Roi de la pantomime, Charlot, miracle de poésie, de liberté, a été salué par les plus grands, de Einstein à Churchill, de Cocteau à Chou En-Lai. Mais il a d’abord été adulé par les petites gens. Il a tout connu : la misère totale, les centres d’accueil, les théâtres, les tournées sordides et triomphantes, la gloire, les haines dans l’Amérique pudibonde, jalouse et soupçonneuse. Pacifiste, il s’est élevé contre la guerre. Homme épris de liberté, il s’est dressé contre les pouvoirs. Insolent, il a pointé par l’image les travers du capitalisme, de la technologie, des dictatures.
Heliane BERNARD
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