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LES MOTS, QUELLE HISTOIRE ! PATRIOTE

LES MOTS, QUELLE HISTOIRE ! PATRIOTE

Les mots ont une histoire. Ils naissent évoluent, changent de sens, opèrent des glissements et surgissent là où on ne les attend pas. Aujourd’hui Heliane Bernard choisit d’aller regarder de plus près « patriote », répété à l’envi par un parti d’extrême droite. A-t-il toujours eu le sens que lui donne ce parti ? Quand et comment a-t-on recours à lui ? Patriote, venant directement de « patrie », elle ne vous épargnera pas l’histoire de ce dernier mot.

 

ALLONS-Z-ENFANTS !

 « Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes » Voltaire

largelargeANNEXION 

Aujourd’hui, en France comme en Europe, les mouvements d’extrême droite utilisent la référence à la patrie pour recourir à une idéologie nationaliste. C’est cette même réappropriation dont se sert le parti de Marine Le Pen. Les diatribes contre l’étranger et l’Europe fleurissent dans les discours des frontistes et de leur chef qui se qualifient de « patriotes ». « Je suis la patriote » clame Marine Le Pen ; « Monsieur Poutine est un patriote… nous défendons des valeurs communes… celles de l’héritage chrétien… de la civilisation européenne ». Et encore, il y a quelques jours « « Je lance un appel à tous les patriotes ».

PATRIOTE ET PATRIE

 « Il y a des bassesses et des ignominies auxquelles même pour le salut de la patrie, le sage se refusera » Ciceron, Le politique (1er siècle av. J.C.)

Les deux mots vont être évoqués tour à tour ou ensemble. L’un découlant de l’autre c’est leur histoire que je veux dérouler. Au XV° siècle,  patriote ne désignait qu’un homme d’une localité. On raconte que, dans ce sens, il vient d’Angleterre, que c’est le philosophe Saint-Simon ( 1760-1825) qui l’a employé le premier.

Repris du grec patris et de patria en latin, patrie n’a jamais changé de sens. Poètes, philosophes, écrivains, la célèbre avec lyrisme depuis la nuit des temps. Bien évidemment, il y a des restrictions à cet enthousiasme, des constats d’excès.

« Patrie » s’auréole de sacré, de larmes, de sentiments et de populisme. Depuis l’Antiquité, lorsqu’on évoque la patrie, dans tout l’Occident, c’est toujours sous l’empire de l’émotion ou du sentiment. Avec des expressions répétées, toujours les mêmes, « aimer sa patrie, mourir pour sa patrie…».

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De siècle en siècle, de la Grèce à Rome, en passant par la Renaissance jusqu’à la Révolution, l’Affaire Dreyfus, les deux Guerres mondiales, la Résistance et encore aujourd’hui le Front National, on le clame, on le revendique, mais pour recourir à des régimes et à des idées bien différentes. C’est étonnant, n’est-ce-pas, cette constante ?

Elle s’explique simplement. La notion de patrie n’est pas et n’a jamais été un thème philosophique, ni un concept juridique. Vous ne trouverez pas le mot dans le droit public. La patrie relève de l’affectif. De l’amour jusqu’à la dévotion. C’est un amour irrationnel, revendicatif le plus souvent. Patrie s’adresse au cœur ou à la haine.

APPROPRIATIONS :

Les discours sur la patrie ont été produits à des moments spécifiques de notre histoire où il fallait soit exalter le courage des hommes, soit revendiquer une appartenance – comme aujourd’hui- pour mieux rejeter l’autre.

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Ce sont des constructions opportunistes, des appropriations successives et diverses. En fait, le sentiment de la patrie n’est pas né d’un seul coup. Il s’est forgé peu à peu, au fil des légendes et des récits, des chansons de geste, qui se basaient sur des faits minuscules, transmis par tradition. L’épopée de Jeanne d’Arc (XVeme) a largement contribué à asseoir le sentiment populaire de patrie qui concernera la France entière à la Renaissance.

La monarchie s’en sert pour resserrer l’unité du pays et assurer de sa protection. Les Lumières ne se prononcent pas mais Rousseau s’attriste : Tout patriote est dur aux étrangers : ils ne sont qu’hommes, ils ne sont rien à ses yeux ».

Puis la Révolution exalte les patriotes et la patrie. Les mots sont utilisés avec enthousiasme pour défendre nos frontières et soutenir la République, « la patrie est en danger ». La Marseillaise appelle « les enfants de la Patrie » au combat. Ils baignent aussi dans le sang.

À la fin du XIX° siècle, la France est dans la tourmente. Nous avons perdu l’Alsace et la Lorraine. L’idée de revanche grandit, pourrit les discours politiques et philosophiques. Les intellectuels s’en mêlent. C’est un déferlement nationaliste. Paul  Déroulède fonde en 1882 La Ligue des Patriotes. La patrie est aux mains des nationalistes !

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Avec l’Affaire Dreyfus, le nationalisme s’exacerbe. Les anti dreyfusards font flèche de tout bois. La France s’embrase. Il y a ceux qui soutiennent la république et ceux qui soutiennent l’armée. L’antisémitisme fait rage. On oscille entre la révolution et la contre-révolution. Les nationalistes se présentent sous le nom sacralisé de patriotes. Le programme de Charles Maurras (1868-1952) est radical : renverser la république pour restaurer la monarchie avec à la clé, racisme ; militarisme, cléricalisme, antisémitisme. Et Zola de s’écrier avec indignation : «C’est un crime que d’exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine. »

Jaurès, pacifiste,  qui veut réconcilier socialisme et démocratie y laissera la vie. Il est assassiné le 31 juillet 1914.

Le retournement n’est pas loin : la Résistance :  La France est occupée par l’Allemagne pendant la Seconde guerre mondiale. Le maréchal Pétain et le régime de Vichy collaborent activement avec l’occupant. De nombreux nationalistes  par haine de la République passent à la collaboration.

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Les Résistants revendiquent à leur tour « patriotes et patrie ». Ils l’honorent. D’ailleurs, le général de Gaulle disait le 18 juin 1940 « Notre patrie est en péril de mort. Luttons pour la sauver ». La guerre se termine : « On voudrait se faire entendre : notre patriotisme n’est pas celui de Marches et Sonneries de Déroulède. Il ne se joue pas au tambour. C’est, si l’on peut bien le définir, un sentiment dépouillé de toutes couleurs criardes, sans galons, sans panache. Le contraire presque du nationalisme et du bellicisme. Un sentiment très tendre pour la France et qui va jusqu’au sacrifice pour elle, sur une barricade ou ailleurs, et qui continuerait aussi bien dans la paix et qui irait vers tous les hommes demain. » ( Henri Calet, Combat, 5 janvier 1945)

PATRIOTES DE L’HUMANITÉ 

« Quant à moi, j’ai écrit pour tous, avec un profond amour pour mon pays, mais sans me préoccuper de la France plus que d’un autre peuple. A mesure que j’avance dans la vie je me simplifie, et je deviens de plus en plus patriote de l’humanité ». (Victor Hugo, 18 octobre 1862). L’école républicaine reprendra la célébration de la patrie, pour rassembler une France divisée.

Et Gandhi, le non violent, (1869-1948), « Mon patriotisme ne connait aucune exclusive. Il est prêt à accueillir le monde entier. Pour moi, patriotisme rime avec humanité. Je suis patriote parce que je suis homme et humain. » écho du « Je chante l’Espagne, et je la sens jusqu’à la moelle ; mais je suis d’abord citoyen du monde et frère de tous… » de Federico Garcia Lorca, assassiné par les fascistes en 1936.

ALORS, ATTENTION, DANGER.

La haine, la xénophobie, l’intolérance religieuse sont à la manœuvre.  Le Front National est très actif depuis des années sur les réseaux sociaux. Il y répand la haine, pendant que Florian Philippot, l’intellectuel numéro 2 du parti, a lancé en 2014 le site « Les Patriotes » qui lui permet de récolter des millions de données personnelles pour leurs actions à venir. La désinformation envahit l’information.

Et aujourd’hui les inconscients prônent avec désinvolture l’abstention, un « ni-ni » criminel. L’irresponsabilité de certains politiques est effarante et source d’angoisse. Il faut faire bloc, se rassembler, même si on ne se ressemble pas, parce que l’urgence est de se barricader contre les loups.

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Oui, notre patrie est en danger de récolter un F.N. qui fermera les portes du monde, de l’Europe, combattra la liberté d’expression, musellera la culture d’aujourd’hui, vivante, diverse, belle.

Et ceux qui s’emparent de « patriote », – comme cela a été fait dimanche soir 23 avril 2017 –  pour tenter de reprendre à Marine Le Pen une appropriation sanglante- , ferait bien de mesurer ce mot et de l’accompagner de son histoire !

Heliane BERNARD

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Remerciements à : Cambon, Cost, Slobodan Diantalvic, Fernand, Lasserpe, Rousso et Vadot

Hommage à : Chimulus, Gotlib, Reiser, Siné.

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