Les Mots : quelle histoire ! Migrants
Les mots ont une histoire. Ils naissent, se transforment, évoluent, retournent leur veste, changent de sens, opèrent des glissements et surgissent là où on ne les attendait pas. Aujourd’hui, Heliane Bernard nous raconte le mot Migrant.
MIGRANTS, MIGRATIONS ET SES ACOLYTES
Être immigré, ce n’est pas vivre dans un pays qui n’est pas le sien, c’est vivre dans un non-lieu, c’est vivre hors des territoires. Cela, Ibn Toumert l’a bien compris, lui qui se retrouve déboussolé, expulsé sans recours, assis entre deux passeports. Tahar Djaout, L’invention du désert.
MIGRANT : Le mot aujourd’hui, fait le buzz. On le trouve partout, on disserte, on explique, on s’indigne. Il s’invite dans les batailles électorales. Il divise, il fait peur. C’est le dernier né d’une famille qui plonge ses racines chez leur ancêtre commun latin, migratio. Selon les époques, les pays, le point de vue où l’on se place, selon qu’il s’agit d’êtres humains ou d’animaux, les mots issus de migratio, migrare, en latin, changent de couleur. Ils passent de la lumière à l’ombre, du vert de l’espérance au rouge sang de la douleur, au gris de l’indifférence.
REVENONS EN ARRIÈRE. LE MOT QUI BOUGE : MIGRATION
Il est emprunté au bas latin migratio, une forme du verbe migrare, changer de demeure, de séjour, aller ailleurs. Plutôt positif, il sous-entend un certain goût de l’aventure.
En 1492, Christophe Colomb avait découvert l’Amérique, le Nouveau Monde. Il n’était pas le seul à traverser les océans, à affronter les tempêtes, à arpenter les (ces) nouvelles terres d’aventures et de mystères, tous courant après l’Eldorado, les pierres précieuses, l’or, les épices rares. Aventuriers, commerçants, explorateurs Européens quittent leur pays, s’embarquent vers l’Ouest prometteur. C’est à ce moment qu’apparaît le mot « migration » qui s’établit dans notre langue en1495.
Au XVI eme siècle, les interminables guerres de religions ravagent la France. Après la Saint Barthélemy (1572), trois cent mille « religionnaires » protestants quittent la France pour l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas, emportant avec eux leur savoir, leurs talents, leur travail. Ces migrations obligées sont, pour la France catholique, un désastre économique. Enfin, Henri IV impose la paix et la tolérance par la proclamation de l’Edit de Nantes (1598), révoqué par Louis XIV en 1685 !
Un peu plus tard, qui en a eu l’idée ? C’était sûrement dans l’air du temps… Il fallait des bras forts pour tirer plus encore de richesses des terres américaines, de France, d’Angleterre, de Hollande, les bateaux négriers accostent aux rivages d’Afrique et emportent vers l’Amérique des hommes et des femmes, enchaînés, mis en esclavage. Ce sera la terrible traite des Noirs, les migrations imposées.
MIGRATIONS ANIMALES :
Nous sommes en 1770. Migration commence à s’appliquer au règne animal. De Buffon, de ses prénoms Georges-Louis Leclerc (1707-1788), naturaliste, biologiste, écrivain, observe et étudie avec passion toutes sortes de bêtes, d’oiseaux, de troupeaux, et parle de migrations pour ceux qui vont et viennent entre printemps et automne, d’un continent à l’autre.
Toujours dérivés de migratio, il y a l’émigration et ses émigrés. Il y eut les émigrations volontaires de ceux qui, plein d’espoir, ont peuplé, à partir de 1787, les Etats-Unis. Des familles entières voguent vers l’Ouest : Le vent vivant des peuples, soufflant du Nord et de l’Est…a porté vers l’Ouest des éléments très divers…Ces arrivants ce sont établis, juxtaposés, ou superposés aux groupes déjà installés…Les immigrants ne vinrent pas seulement du Nord et de l’Est ; le Sud-Est et le Sud fournirent leurs contingents… ( Paul Valery, Regards sur le monde actuel)
Il ne faut pas oublier les nobles, qui, en 1791, pendant la Révolution, ont quitté la France, se sont expatriés pour éviter d’avoir la tête tranchée.
Emigration et immigration, émigrés et immigrants sont bien proches les uns des autres ! Enfantés par ce fameux migratio, qui depuis de lointains siècles dit toujours quitter sa maison, son pays. Emigré paraît plus gai qu’immigrant, peut-être, a-t-il une nuance de volonté ? Un émigré sort de son pays et l’immigrant entre dans un autre. Etre d’un côté de la porte, ou d’un autre !
D’abord adjectif (1801), migrateur, devient nom, pour parler des oiseaux et des animaux. Très peu après, on l’associe aux cellules vivantes, en médecine, en biologie. L‘évolution s’accélère, on parle de phénomène migratoire (1838).
À la fin du XIX eme siècle et dans la première moitié du XX eme siècle, les migrations internationales s’intensifient comme jamais. Irlandais affamés, Italiens pauvres, Espagnols républicains, Juifs, ils vont ici ou ailleurs. Ils fuient la pauvreté, la famine, les persécutions, les chambres à gaz. Au milieu du XX eme siècle, voici les migrations sociales, les citadins changent de lieux au gré de leur travail ; les campagnards occupent les villes, les migrations d’été jettent sur les routes et dans les airs une cohorte de vacanciers. Le terme s’inscrit dans ce sens en 1972. En géographie, on dit migrations pendulaires pour désigner le va et vient ville/campagne journalier, joli non ?
Migrant, adjectif d’abord apparaît en 1951. – le travailleur migrant – est un homme qui, né dans un pays pauvre, le quitte, espérant trouver dans un pays plus riche du travail et commencer une autre vie. D’Algérie, où c’était la guerre, affluent en France, algériens ou pieds noirs. Traitait-on ces Français de migrants ?
En 1962, l’adjectif prend du galon, si l’on peut dire. Il devient un nom alors qu’eux-mêmes, ces travailleurs, n’ont plus de nom. Ce sont les anonymes de la nuit. Ils balayent les rues, ramassent nos poubelles, nettoient, portent, s’épuisent pour que leurs enfants aillent à l’école.
2015 : Jamais il n’y eut autant d’hommes, de femmes, d’enfants, perdus sur les mers, marchant, risquant leur vie, pour aborder l’Europe de leurs rêves, chassés par la misère ou les dictatures.
Devant cet afflux, les partis extrêmes se nourrissent de l’angoisse des nantis, insufflent la peur et le répètent à l’envi : le migrant est le responsable des désordres, du chômage. Il est le bouc émissaire, coupable de tous les maux, profiteur, envahisseur, et parfois terroriste !…
Pour certains, plus généreux peut-être, effarés par leur effroyable misère, il est remords. Image désolante et pitoyable, pourtant, ces êtres humains fuient la guerre, les persécutions. Parmi eux, des ouvriers, des lettrés, des intellectuels, simplement des êtres humains qui demain enrichiront notre vieille Europe.
Immigrants ou migrants, clandestins, sans papiers, par millions, tentent de survivre de nos aumônes ou meurent d’avoir cru pouvoir approcher nos rives.
Heliane BERNARD
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Remerciements à Wolfgan Ammer, Aquindo, Bertrams, Carali, Chappatte, Coco, Deligne, Dilem, Falco, Kroll, Schot , Sergueï, et Ysope.