L’œil & le mot / Ces drôles d’oiseaux III : La colombe de la paix
Et si une mise en perspective des irrévérences des caricaturistes avec des saillies de poètes permettait une plus grande liberté du regard ?
ITINÉRAIRE D’UN CLASSIQUE DU DESSIN DE PRESSE
UNE SYMBOLIQUE QUI PUISE SES SOURCES DANS LA BIBLE…
… dans la Genèse, et notamment dans l’épisode du déluge. Selon la tradition, alors que la terre est submergée par les eaux, Noé lâche une colombe qui, revenant avec un rameau d’olivier dans le bec, lui signale que le déluge se termine. Le niveau des eaux a baissé, la cime des arbres a émergé. La colère de Dieu contre les hommes a cessé. La paix et l’espoir sont revenus sur le monde. Après la pluie diluvienne, la vie reprend ses droits. La colombe est celle qui apporte la bonne nouvelle. Elle devient le symbole de la paix retrouvée.
Plus tardivement dans l’art chrétien primitif, la colombe représentera la communauté des fidèles avant de devenir au Moyen Âge, l’incarnation du Saint-Esprit.
UN CLASSIQUE DU DESSIN DE PRESSE
Dans cette caricature, parue dans la presse anglaise en mars 1919, le président des États-Unis, Thomas Woodrow Wilson, au centre, domine l’image. Inspirateur de la Société des Nations (S.D.N.), prix Nobel de la Paix en 1919, il offre à la colombe, en se courbant, une branche cassée d’olivier pourvue de ses rameaux, figurant les nations. L’oiseau de la paix, assis sur le socle de textes empilés, le bec pointé vers le président, semble lui adresser des reproches, plutôt qu’un doux roucoulement : elle ne pourra certainement pas porter une branche aussi lourde ! La colombe n’est pas dupe. Wilson ne sera pas suivi par le sénat américain et les Etats-Unis ne feront jamais partie de la Société des Nations.
Dans l’entre-deux-guerres, le symbole ne cesse d’être repris. En pleine montée du nazisme, l’oiseau symbole est soit assassiné, soit remplacé par un aigle nazi.
L’AIZ (Arbeiter Illustrierte Zeitung – Journal Illustré des Travailleurs), hebdomadaire allemand d’obédience communiste, présente une colombe embrochée par la baïonnette nazie.
Le dadaïste John Heartfield fait un photomontage : la colombe est transformée en rapace aux serres acérées. Dans son bec, la plume de l’oiseau de paix remplace le rameau d’olivier. La colombe est maintenant la victime.
En 1940, des caricaturistes poursuivent la métamorphose : la colombe à tête d’Hitler de David Low, transporte des bombes et mène le convoi destructeur. John Collins dessine un aigle monstrueux, porteur du rameau d’olivier, fonçant sur l‘Angleterre.
1943 : La France est occupée. Picasso souffre pour son pays d’adoption. Il le dit avec « Enfant aux colombes », un tableau où il enferme un couple de colombes et un enfant, dans un intérieur sans lumière.
Au lendemain de la libération, le 5 octobre 1944, le peintre adhère au Parti Communiste. Son nom est associé à ceux de Joliot-Curie et d’Aragon. Ils symbolisent l’alliance des intellectuels et des artistes à la classe ouvrière.
1945 après la défaite de l’Allemagne, et l’effondrement de la France, l’Angleterre affaiblie met en garde le monde nouveau contre les risques de domination communiste. Le 6 août 1945, l’aviation américaine lâche la première bombe atomique, « Little Boy » sur Hiroshima, siège du commandement du Japon impérial.
Trois jours plus tard c’est Nagasaki qui est touchée. Les deux bombes provoquent la mort d’environ 170 000 personnes et leurs radiations continueront à faire de nombreuses victimes pendant des années. Cinq jours plus tard, l’empereur Hiro-Hito se résigne à une reddition sans condition.
En 1946, Bernard Lancy revisite l’affiche de La Grande Illusion, le film du cinéaste Jean Renoir sorti en salle en 1939. La colombe de la paix, l’aile blessée, est retenue par des fils barbelés sur une trouée de ciel bleu traversant la silhouette d’un soldat allemand de la première guerre mondiale, reconnaissable à son fameux casque à pointe. La paix, colombe et ciel bleu, était une illusion. 1947 marque le début de la guerre froide. Elle oppose dorénavant deux grandes puissances, les Etats-Unis d’Amérique et l’Union des républiques socialistes soviétiques (U.R.S.S.).
PICASSO ET LA COLOMBE DE LA PAIX : LA NAISSANCE D’UNE ICÔNE CULTURELLE.
« La colombe de la paix gagne en force sur le corbeau de la guerre. » dit Picasso heureux. Picasso s’implique dans le mouvement pour la paix orchestré par le Parti. En 1948, il assiste en compagnie du poète Eluard, au Congrès des intellectuels pour la paix qui se tient à Wrocla.
L’image de la paix et du bonheur sont dans le portrait de François Gilot, transformée en colombe. La nouvelle compagne du peintre lui donne, le 19 avril 1949, une fille, prénommée Paloma, colombe en espagnol…
L’artiste raconte comment en 1949, Aragon, à la recherche d’un dessin pour illustrer l’affiche du Congrès mondial des partisans de la paix, qui se tiendra du 20 au 24 avril 1949, salle Pleyel à Paris, choisit en guise de colombe de la paix une de ses lithographies représentant un pigeon. Picasso s’en amuse : « Le pauvre Aragon… Sa colombe, c’est un pigeon ! Il ne connaît rien aux pigeons. La légende de la douce colombe, quelle blague ! Il n’y a pas d’animaux plus cruels. ».
Au printemps 49, la colombe de Picasso est mondialement connue. Le nom de Picasso devient un symbole. La même année l’U.R.S.S. se dote de sa première bombe atomique dans le Kazakhstan. Les deux puissances ennemies ont désormais l’arme nucléaire.
Le 18 mars 1950, lancé par le communiste Frédéric Joliot-Curie, et le Mouvement mondial pour la paix, l’appel de Stockholm recueille en France 3 millions de signatures contre la bombe atomique. Plus de 150 millions de personnes le signeront dans le monde entier. Pour le deuxième Congrès de la Paix en novembre 1950, qui se tient à Sheffield, en Angleterre, Picasso grave une nouvelle colombe mais cette fois en vol.
https://www.facebook.com/?locale=fr_FRSes colombes deviennent emblématiques de son engagement. Le poète chilien Pablo Neruda déclame : « La colombe de Picasso survole le monde… Elle a pris son vol autour du monde et nul criminel oiseleur ne saurait désormais l’arrêter dans son essor. » Un an plus tard, Picasso illustre un texte de son ami Eluard, « Le Visage de la paix » :
Je connais tous les lieux où la colombe loge
Et le plus naturel est la tête de l’homme.
Paul Eluard
1952, Le peintre dessine sa « Colombe à l’arc-en-ciel », signe du beau temps retrouvé, en décembre 1952, pour le Congrès des peuples pour la paix qui se tient à Vienne. La même année « La paix combattante fera reculer le char de guerre » est publié dans Démocratie Nouvelle. Les colombes de Picasso se succèdent de manifestation en manifestation. Elles font du peintre à l’œuvre encore incomprise du grand public, une figure emblématique. Jusqu’à son décès le 8 avril 1973, l’artiste manifestera toujours beaucoup d’intérêt pour la presse et n’hésitera pas à mettre son talent à son service. L’Humanité, Libération, La Marseillaise, Le Patriote… bénéficieront de ses généreuses collaborations qui assureront à chaque fois des ventes exceptionnelles à ces journaux. L’Humanité reproduit cette encre où des personnages dynamiques dansent autour de l’olivier et la colombe porteuse du rameau s’élance dans le ciel.
GUERRE DES PAIX ET GUERRE DES IMAGES
En France, la contre propagande anticommuniste à travers « Paix et Liberté » une association française anti-communiste nouvellement créée, détourne l’image de la colombe ancrée dans l’imaginaire collectif grâce à Picasso. Elle la transforme dès 1950 en un char d’assaut soviétique à la silhouette bordée de rivets. Mi-oiseau mécanique, elle promet la paix, si on se fie au rameau d’olivier inscrit dans son bec, mais elle « fait boum » pour reprendre les termes de la célèbre chanson de Charles Trenet. Elle diabolise le régime stalinien symbolisé par la couleur rouge. La colombe qui fait boum, (affiche tirée à 300 000 exemplaires) parodie les colombes de Picasso.
Joseph Staline est présenté sous les traits satiriques de JoJo la Colombe. Son visage, sa moustache, son uniforme, le tatouage de la faucille et du marteau, l’étoile… l’ennemi est clairement identifié : l’U.R.S.S. et le communisme. L’affiche dénonce le double jeu de l’U.R.S.S. Staline tend d’une main, placée en pleine lumière une pancarte proposant la paix. De l’autre, dans l’ombre, il s’apprête à frapper d’une masse d’arme. Le Secrétaire général du Parti Communiste de l’Union Soviétique a mis la colombe de la paix en laisse à ses pieds. Son maillot rayé de marin l’assimile au peintre Picasso, le maître à la marinière. Le bleu a cédé la place au rouge.
Dans l’affiche de Chancel, la colombe assassinée par un bolchevik, se vide de son sang dont le flot finit par former la faucille et le marteau, emblèmes du Parti Communiste pendant qu’en arrière, dans le lointain, un soldat bolchevik brandit le rameau d’olivier d’une main et tient un revolver de l’autre… La paix est ensanglantée.
La propagande russe use des mêmes armes. En 1953, le caricaturiste Efimov déguise à son tour une bombe atomique US en colombe de la paix. La mort de Staline en 1953 ne changera pas la donne. Face à une Amérique présentée comme fauteur de guerre, l’URSS continuera de s’afficher comme faiseuse de paix comme le montrent ces affiches de 1981 ou de 1989.
C’ÉTAIT POURTANT JUSTE UN PIGEON !
Suite aux attentats du 11 septembre2001, le dessinateur Kroll fait rôtir cette pauvre colombe, comme un vulgaire poulet mais qui, malgré tout tient encore le rameau dans le bec.
Associé au crayon du dessinateur de presse, l’oiseau de paix deviendra le logo de l’association Cartooning for Peace, issue de la rencontre fondatrice le 16 octobre 2006 entre Kofi Annan, prix Nobel de la Paix et Secrétaire général des Nations Unies et Plantu, journaliste et dessinateur aux journaux Le Monde et L’Express.
Elle ne cessera dès lors d’être reprise et détournée.
Ce n’était pourtant qu’un pigeon comme pourra le constater humblement à ses dépens le président François Hollande lors de la grande marche républicaine du 11 janvier 2015. La colombe était pigeonnée !
PETITES PHRASES ENCHANTERESSES :
Il faut vraiment avoir la trouille pour avoir peur d’une colombe.
Pablo Picasso, 1950, Texte manuscrit sur morceau de journal déchiré, Musée national Picasso, Paris.
Il est temps d’arrêter
De jouer avec la guerre, pour que les enfants
Apprennent à jouer à la paix !
Samouil Marchak (extrait de Conversation avec le petit-fils)
Samouil Marchak (1887-1964) poète, dramaturge et critique littéraire russe. Ami de Gorki, il dédia l’essentiel de sa vie aux enfants en écrivant des livres pour eux, illustrés par son ami Vladimir Lebedev. Il a fondé et leur a dédié la revue Vorobéi (Le Moineau). Pendant les années cinquante et soixante, il n’a jamais hésité à risquer son nom et sa carrière littéraire pour aider les persécutés et les opprimés.
La paix prend un « x »
C’est pourtant au singulier
Qu’elle s’écrit.
Cela veut dire, je pense,
Qu’elle doit se vivre au pluriel.
Jacques Bellefroid
Jacques Bellefroid, poète et écrivain, a vu ses premiers textes publiés dans la revue NRF dès 1957. Son premier roman « La grande porte est ouverte à deux battants » sort en 1964. En 2006, lors de l’assassinat du jeune Ilan Halimi par la bande qui s’auto-intitule le gang des barbares, il écrit dans une lettre à un ami : « Aujourd’hui, par « ces temps de paix », devant les actes accomplis par certaines bandes, avoir recours au vocabulaire traditionnel de la délinquance peut vite devenir une manière douceâtre d’affadir la réalité des faits, en empruntant même aux temps de guerre certains des procédés techniques du camouflage. Tout a peut-être commencé dans les collèges et les lycées… »
Rêver est un devoir
il peut neiger sur le noir
sortir des colombes
des manches de l’épouvantail.
Jean-Pierre Sautreau
Poète et écrivain, Jean-Pierre Sautreau est l’auteur de plusieurs recueils dont « Sur le fil du rasoir », « Le Feu de vivre » et Dans le jardin de mon père.
Je crois profondément que toute « intervention dans la cité » ne peut passer que par le plus humble : le geste de tolérance ou le geste d’amour sans portée universelle : obstinément quotidien, apparemment banal.
Jean-Pierre Spilmont (extrait de « Vers un matin sans cicatrice ».)
Essayiste, poète, dramaturge, romancier, l’écrivain voyageur a toujours su trouver dans la nature un chemin de paix intérieure. « Vers un matin sans cicatrice » est paru aux éditions Paroles d’Aube en 1992.
LA PAROLE EST AU POÈTE :
Poète parisien, mais né à Rome et européen par ses voyages, Guillaume Apollinaire (1880-1918), le joyeux « Kostro », ami des peintres et des écrivains d’avant-garde, anime le monde artistique et littéraire des années 1900-1920. Il crée des revues, lit des vers, donne des conférences, enregistre des poèmes. Apollinaire est l’amoureux fougueux, et éconduit, lyrique et mélancolique du « Pont Mirabeau » ou de « La Chanson du Mal-Aimé ». À la déclaration de guerre, en 1914, il s’engage et fait ses classes au 38 eme régiment d’artillerie à Nîmes. Le 17 mars 1916, il est blessé d’un éclat d’obus à la tempe droite, opéré et trépané en mai. En 1918, il publie Calligrammes avec pour sous titre « Poèmes de la paix et de la guerre » au Mercure de France où apparaît « La Colombe poignardée et le jet d’eau ». Le calligramme qui met en scène une colombe symbole de la paix et de l’amour, poignardée, ainsi qu’un jet d’eau pleurant sur sa peine, a été dessiné sur le front. Il y dénonce les affres de la guerre qui fait mourir des innocents, la guerre qui l’a arraché à ses amours et à ses amis. En accord avec la peinture de son époque, les poèmes objets, ces calligrammes de l’ami des peintres cubistes, souscrivent avec génie aux possibilités figuratives du vers. Victime de la grippe espagnole, Apollinaire meurt le 9 novembre 1918.
Alexandre FAURE
Remerciements à : Boligan (Angel Boligan Corbo), Baha Boukhari, Chrib, Coco, Giannelli (Emilio Giannellia), Avi Katz, Krauze (Andrzej Krauze), Kroll, Lacombe, L.P. Paolo Lombardi, No-Rio (Norio Yamanoî), Pang Li , Plantu, Reginald Stokart
Les épisodes précédents se trouvent ici :