LIBRES PAROLES : NADIA KHIARI ET SON CHAT WILLIS, L’ARDEUR AU SERVICE DES FEMMES ET DE LA LIBERTE D’EXPRESSION
Nadia khiari, artiste peintre, humoriste, dessinatrice de presse, enseignante en arts plastiques tunisienne n’a pas froid aux yeux ! Forte personnalité, courageuse et féministe, elle défend bec et ongles les droits des femmes, œuvre à cette défense en tout lieu possible, use de son crayon pour fustiger abus de pouvoir et corruption et entraîne dans son sillage, par sa volonté et son dynamisme les plus timorés .
Dans la grande tradition littéraire et artistique, elle défie les censeurs de toute nature à travers son chat Willis from Tunis.
Heliane Bernard – En regardant nombre de vos dessins, vous évoquez souvent la place de la femme dans la société Tunisienne. Mais y en a-t-il une question qui vous parait plus importante que les autres ?
Nadia Khiari – C’est la question des droits humains en général qui m’importe et la défense des libertés individuelles.
Heliane Bernard – On dit que la Tunisie est un pays précurseur dans le monde arabe sur les droits des femmes. Le gouvernement Tunisien vient notamment d’adopter en juillet 2017 un projet de loi contre la violence faite aux femmes. La question est-elle réglée pour autant ?
Nadia Khiari – La question n’est réglée nulle part. Même pas en France.
Le sexisme est banalisé, les injustices contre les femmes ne choquent pas ou peu. Ces inégalités sont justifiées par une tradition machiste bien ancrée et par des arguments politico-religieux qui manquent clairement de courage.
Heliane Bernard – Vous êtes, je crois, membre de plusieurs associations. Ont-elles, plus ou moins, un rapport avec les droits des femmes ou le féminisme ?
Nadia Khiari – Je travaille avec plusieurs associations dans divers domaines : le point en commun est la défense des droits et des libertés.
Par exemple, l’association Chouf est une association qui est féministe et qui organise chaque année « Chouftouhonna« , un festival international d’art féministe à tunis.
Heliane Bernard – Pouvez-vous définir ce qui est le plus ignoble concernant les droits bafoués des femmes ?
Nadia Khiari – Ce qui est ignoble, c’est quand un dogme (quel qu’il soit) soumet une partie de la population par une autre : penser que le femme est inférieure à l’homme et émettre des lois en se basant sur cette supposée infériorité est clairement à vomir.
Heliane Bernard – Plusieurs de vos dessins évoquent la cause lesbienne. L’Homosexualité féminine est-elle toujours un tabou en Tunisie ?
Nadia Khiari – L’homosexualité est plus qu’un tabou, elle est pénalement répréhensible*. Les hommes sont plus victimes de cette loi que les femmes : ils écopent de trois ans de prison et subissent un test anal par un médecin certifié. Mais il y a des avancées : le fait de parler d’homosexualité dans les médias (en général, c’est très homophobes malheureusement) lève le tabou puisqu’on en parle. Mais la route est encore longue.
Heliane Bernard – Quel est selon vous le poids des traditions ? Je pense notamment à la place de l’homme dans la famille, les inégalités devant l’héritage, le choix des époux dans le mariage…
Nadia Khiari – Les traditions, au lieu d’être une part enrichissante de notre identité, nous écrasent et sont un frein aux libertés : la majorité impose son mode de vie à tout le monde et accepte peu les différences.
Heliane Bernard – Vos dessins suivent de près l’actualité. Quel est, en ce moment, le ou les sujets (s) les plus préoccupant(s) en Tunisie ?
Nadia Khiari – Ce qui est préoccupant sont le retour à des pratiques de l’ancien régime, la corruption, le blanchiment d’argent et le marché parallèle qui gangrènent l’économie, le chômage, les départs des tunisiens en clandestinité en Europe, etc. Les divers gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays n’ont en rien résolu les problèmes qui ont donné lieu à la révolution.
Heliane Bernard – Dernière question : vous avez choisi, pour vous exprimer, deux couleurs éminemment symboliques et violentes : le rouge et le noir. Pouvez-vous nous en parler ?
Nadia Khiari – Visuellement, le rouge et le noir sont des couleurs qui « claquent » graphiquement. Après, niveau symbolisme, on peut y voir les couleurs de l’anarchie. L’ordre moins le pouvoir.
Entretien réalisé par Heliane BERNARD
* Nadia Khiari a participé à l’exposition des artistes en lutte contre l’homophobie « Au temps du 230 » en référence à l’article 230 du code pénal tunisien qui s’est tenue dans l’Espace Das Bach Hambra dans la Médina de Tunis.
Nadia Khiari alias Willis from Tunis fait partie du Comité international de caricaturistes qui se sont ralliées à notre projet d’exposition itinérante : « Au bout du crayon, les droits des femmes : caricatures, dessins de presse et liberté d’expression » que Le Crayon organise pour 2018 en partenariat avec France-Cartoons et le Festival du Dessin de Presse et de la Caricature de l’Estaque (FIDEP).
Nous avions déjà recueillis ses propos dans le cadre de notre rubrique Libres paroles, à l’occasion de l’exposition que notre association lui avait consacré à Ramatuelle (Var) de 19 décembre 2015 au 21 janvier 2016.
Elle crève l’écran de « Fini de rire » ce documentaire pionnier d’Olivier Malvoisin sorti en 2012 et du film « Caricaturistes, fantassins de la démocratie » réalisé en 2014 par Stéphanie Vallloatto.
En soutien à notre association Nadia Khiari nous a généreusement permis de défendre avec son chat Willis l’engagement du Crayon pour la liberté d’expression en nous permettant d’imprimer le t-shirt Willis from Tunis du Crayon.
Nadia Khiari en quelques dates :
– 1973 Naissance à Tunis
– 13 janvier 2011 naissance de son chat Willis from Tunis durant le dernier discours de Ben Ali. La même année publication de son 1er livre « Chroniques de la Révolution ».
– 2015 Publie Le Manuel du parfait dictateur.
– 2016 Reçoit le prix « Couilles au cul » au Festival d’Angoulême.
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