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LIBRES PAROLES : FAWZIA ZOUARI, UN ISLAM ÉCLAIRÉ

LIBRES PAROLES : FAWZIA ZOUARI, UN ISLAM ÉCLAIRÉ

Voici deux livres essentiels et beaux à donner à lire, à partager. Le corps de ma mère (Joëlle Losfeld édit) et Je ne suis pas Diam’s ( Stock édit.) de Fawzia Zouari. Leur lecture a été si passionnante en ces moments douloureux de montée de l’islamisme, de tiédeur et de manque de courage des politiques, d’assassinats fanatiques, qu’il fallait bien que Le Crayon aille interroger l’auteure, et partage avec vous ses réponses.
(A offrir aussi absolument aux adolescents en recherche)

 

Le corps de ma mère (Joëlle Losfeld édit.), est un récit familial magnifique, extraordinairement fascinant de cette  écrivaine tunisienne, docteur en littérature française et comparée de la Sorbonne. L’auteure  nous livre  l’intime d’une femme musulmane, sa mère, une bédouine tatouée, pétrie des traditions et des interdits liés à son sexe, enfermée sa vie durant dans sa maison, une mère dominatrice et admirée.
Qui est vraiment cette femme aux portes de la mort ? Il y a urgence pour l’auteure à tenter de le découvrir, avant que les souvenirs ne se fondent dans leur recréation et pour exister, délivrée de la culpabilité d’être une femme moderne, une musulmane libre et tolérante. C’est une histoire émouvante, savoureuse, poétique et poignante qui nous interroge aussi sur nos rapports avec nos propres familles, une quête de la liberté qui nous concerne tous.

Je ne suis pas Diam’s  (Stock édit.) est une adresse et un cri de colère de Fawzia Zouari envers la chanteuse Diam’s, cette personnalité publique qui a eu la chance de naître dans un pays de liberté où les femmes peuvent accéder à l’éducation, et qui, modèle de modernité pour des milliers de jeunes,  s’est engagée dans un processus de vie qui glorifie l’aliénation des femmes et défie les lois de la République française laïque. Avec intelligence, clarté et sensibilité, l’auteure analyse un fait indéniable, la montée de l’islamisme défiant les valeurs de la république, l’attitude souvent ambiguë des politiques. Elle milite avec passion pour un islam éclairé qui s’intègre à notre république laïque.  Elle invite aussi Diam’s à se mobiliser pour d’autres combats.

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Fawzia Zouari est née dans un village tunisien, Dahmani, non loin de Tunis. Elle est la première fille dans cette famille de dix enfants, dont quatre filles, à n’avoir pas été mariée jeune adolescente et à pouvoir faire des études d’abord à Tunis puis à Paris, soutenue en cela par son père, un « cheikh », c’est-à-dire un homme qui fait autorité en matière religieuse. Journaliste engagée, romancière, essayiste,  elle travaille à Jeune Afrique et à France 2. Elle vit à Paris.

Le Crayon – Comment ont été accueillis ces ouvrages ? Quelles ont été les réactions des milieux religieux ? Et dans les milieux qui devraient être directement intéressés comme l’éducation et la culture ?

Fawzia Zouari – Je ne suis pas Diam’s a été accueilli timidement. Peu de journaux en ont parlé et les magazines féminins supposés lutter pour la cause des femmes l’ont tout simplement ignoré.

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Je pense que cela est dû à cette peur panique de l’accusation d’islamophobie. Elle traumatise une certaine presse de Gauche. D’où la contradiction profonde entre l’appel continuel qui nous est fait en tant  musulmans de nous exprimer sur les dérives de l’islam et l’autisme qui accueille nos propos ou nos réactions. C’est aussi le fait d’une sorte de « compassion » de certains Français de souche qui préfèrent nous traiter en victimes et faire de nous une « cause ». Pour ce qui est de la réaction des musulmans purs et durs, je vous laisse imaginer. Je suis classée dans la catégorie islamophobes moi qui suis – et me déclare- arabe et musulmane.

Le Crayon – Colère, incompréhension, explications conduisent votre essai adressé à Diam’s, mais aussi respect. Comment  l’intéressée a-t-elle réagi ?

Fawzia Zouari – Elle n’a jamais réagi. Et ce n’est pas étonnant. Je pense qu’elle ne peut être qu’à court d’arguments pour contrer mes propos – qui restaient amènes à son égard-, en plus de ne pas souhaiter faire de la pub à mon livre. C’est compréhensible.

Le Crayon – Vos origines, votre éducation, votre connaissance du Coran, votre parcours de vie, vous donnent la légitimité pour faire avancer le débat sur le port du voile et éclairer les valeurs de la laïcité. Que faites-vous pour avoir la plus large audience possible ? Avez-vous d’autres actions au-delà de vos livres et articles ?

Fawzia Zouari – Les atouts dont je peux me prévaloir sont effectivement les suivants : parler de l’intérieur de ma tradition, en toute connaissance de cause, ne pas être dans une entreprise de rupture avec les miens mais de construction et de changement positifs. Le discours sur l’islam a été prisonnier de la parole d’adversaires haineux ou de défenseurs zélés. Alors qu’il faut des voix qui réfléchissent, analysent, édifient s’il le faut, appellent les nôtres à l’auto-critique, afin de changer l’image de l’islam et de le mettre à l’heure du monde. Mais je pense que les temps sont davantage à l’émotion et aux polémiques qu’à l’édification ou au débat serein.

Le Crayon – Vos deux derniers ouvrages sont des plaidoyers pour l’indépendance d’esprit et la laïcité. Envisagez-vous de les présenter dans les écoles, collèges et lycées, sachant bien que votre présence aurait un important impact auprès des jeunes de toute confession ?

Fawzia Zouari – Je suis une laïque déclarée et une partisane absolue de la l’indépendance de la pensée. Sur ce plan, je pense, et je dis, que la solution de demain pour les musulmans réside dans la séparation entre l’État et la religion. Aucune autre révolution n’a de sens et n’aura d’impact en dehors de celle-ci. Maintenant, ce n’est pas à moi d’aller démarcher mon message dans les collèges et lycées, c’est aux tenants laïcs de cette République de demander un tel message à l’adresse de ses jeunes. Or, il semble, malheureusement, que les responsables politiques préfèrent avoir pour interlocuteurs des imams et des religieux. Comme s’il fallait à tout prix trouver aux musulmans de la République des solutions religieuses et traiter leurs problèmes en lien avec le dogme.

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Le Crayon – L’éducation et la culture sont essentielles pour pouvoir apprendre et exercer son esprit critique. Que faudrait-il faire de différent, de créatif, pour donner cet outil aux enfants et adolescents ?

Fawzia Zouari – On a vu se multiplier les experts, les cellules de radicalisation et les tribunes de prêches. Encore une fois, une sorte de négociation entre la religion musulmane et la République est en cours. Comme si la religion restait la solution obligatoire pour le fidèle de Mahomet. Je ne suis pas pour enseigner les religions à l’école, mais l’histoire des religions. Nous avons à faire naître des générations de gens qui réfléchissent et non obligatoirement qui pratiquent. Il faut redonner du crédit à la solution politique et faire passer le référent citoyen avant le référent religieux. Il nous faut une pédagogie qui fasse comprendre aux nouvelles générations que leur choix, c’est la France et qu’il faut en finir avec les litiges du passé. En contrepartie, la République se doit d’être égalitaire et juste envers tous ses citoyens.

Le Crayon – Concernant la position de Diam’s sur le voile, son inconscience et sa désinvolture, ne pensez-vous pas, que c’est plutôt son manque de culture religieuse et philosophique, sa faiblesse, qui la conduisent ?

Fawzia Zouari – C’est sûr qu’il y a un manque de culture d’islam flagrant chez cette dame. Pour elle,  l’islam agit comme une solution médicamenteuse, une thérapie contre le mal-de vivre. C’est son affaire, certes, elle est libre de s’administrer les remèdes qu’elle veut, mais il ne faut qu’elle en fasse un exemple, pour le personnage public qu’elle est, c’est une forme de prosélytisme.

Le Crayon – La Tunisie d’aujourd’hui répond-elle à vos attentes ?

Fawzia Zouari – Non. La Révolution en laquelle nous avons espéré a accouché de l’islamisme. Et si les tenants de cette idéologie ont échoué à garder le pouvoir, ils sont plus forts que jamais, notamment dans les coulisses où ils contrôlent le pouvoir. Ils islamisent la société au quotidien et y réintègrent les notions de morale et de piété qui leur servent de cheval de Troie. Ni politiquement, ni économiquement, ni socialement, la Tunisie ne peut se prévaloir d’avoir réussi sa révolution. Seule la liberté d’expression y est un acquis. Et la lutte des descendantes de Bourguiba pour faire valoir les valeurs de laïcité et de modernité.  Car c’est une vérité :  Si la Tunisie tient encore contre l’islamisme, elle le doit à  ses femmes. Pour le reste, le ver est dans le fruit, comment l’en extraire et se débarrasser de cette idéologie machiste et mortifère, je ne saurais vous répondre.

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Le Crayon – Quelles sont vos inquiétudes et vos espoirs concernant votre pays d’adoption, la France, et plus généralement l’évolution des mentalités en Europe

Fawzia Zouari – Je suis triste de voir cette islamisation des mentalités gagner les Français d’origine musulmane. Je suis effarée par le nombre de voiles et de barbes que je vois et il y a des jours où je me demande pourquoi j’ai fait le voyage si c’est pour me retrouver dans un contexte similaire aux cités musulmanes. Il faut se poser la question de cette montée inquiétante du religieux qui remet en question le modèle laïc et à l’épreuve, le féminisme. Et il faut sans doute un discours clair et des décisions douloureuses que la Gauche au pouvoir n’ose pas assumer. Plutôt que de tergiverser ou de réagir avec tiédeur aux manquements à la loi républicaine, il faut être sévère quant à son application.

Le Crayon – Faire du voile, « une donnée  fondamentale de la croyance » n’est-il pas  une imposture digne de Tartufe ?

Fawzia Zouari – Bien sûr. Cela supposerait qu’une musulmane est d’office une femme voilée. Que la norme c’est le voile et non le dévoilement. Or, la foi n’est pas dans l’affichage de signes extérieurs. C’est une affaire personnelle d’abord. Avec Dieu ensuite. Il se trouve que l’islam de France relève d’une sorte de bricolage qui ignore, altère ou défigure la foi d’origine.  L’islam s’y réduit comme peau de chagrin à un ensemble de rituels qui tuent l’esprit de cette religion et qui s’avèrent en fin de compte comme de ségrégation volontaire et/ou un bras de fer avec la République. Sur ce registre, ce n’est pas tant la faute de l’islam que des musulmans.

Le Crayon – Vos deux ouvrages diffèrent absolument de ton. L’un est une adresse à un personnage public qui devrait être responsable, l’autre un récit qui relève de l’intime. Ils sont, me semble-t-il, complémentaires. Le second est-il la démonstration du premier ?

Fawzia Zouari – Je ne mélange jamais l’essai et le roman. Si les deux genres se rencontrent, tant mieux. S’ils servent en fin de compte une même cause, pourquoi pas ? Mais je ne milite pas dans mes récits, je raconte, et je me méfie de toute velléité d’édifier le lecteur comme dans le débat d’idées.

Le Crayon – Comment concilier les justes revendications féminines à la liberté et la religion ?

Fawzia Zouari – Il faut concilier les revendications féminines avec la liberté tout court. Lier la question de la femme au religieux c’est l’enfermer encore dans un piège qui l’emprisonne depuis l’avènement des religions. L’on devrait dire aux hommes de s’occuper de se réconcilier avec Dieu sur leurs propres comptes et de laisser les femmes négocier leur salut avec Lui. Elles en sont capables. Et elles devraient être libres de le faire. Si la peur persiste chez les hommes, je pense que les divans des psychanalystes leur seraient plus utiles que les églises ou les mosquées.

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Le Crayon – Vous plaidez maintenant pour une stricte application de la loi sur le voile. Votre position était plus nuancée il y a quelques années. Cette évolution est-elle le résultat d’une évolution personnelle ou  due à la gravité de la situation et à l’urgence de parler, de témoigner, de suggérer des remèdes ?

Fawzia Zouari – Le contexte a changé, tout simplement. De la guerre d’Irak à l’émergence de Daèche, le repli est évident et le recours aux signes religieux est devenu une arme de guerre. En effet, le projet islamiste est devenu clair. Que les femmes le veuillent ou non, qu’elles soient contraintes ou consentantes au voile, le fait de porter ce dernier sert de publicité, de relais, de motif de satisfactions pour les fondamentalistes. C’est cette idéologisation du voile qui a modifié ma position et l’ampleur avec laquelle le hidjab se répand au mépris de la liberté des femmes quoiqu’on en dise.  Je ne regrette donc pas qu’il  y ait une loi sur le voile. On ne l’aurait pas faite, on aurait eu la moitié des bancs de collèges de France voilés. Et si on n’étudie pas bien le phénomène à l’université, demain, nous assisterons au même envoilement de masse. C’est encore plus inexcusable à l’université, d’ailleurs. Parce qu’il s’agit d’étudiantes majeures qui ne peuvent ignorer les connotations sexistes et politiques du voile.

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Le Crayon – Vous avez, avec « Le corps de ma mère », rendu un hommage à votre mère, exprimant dans une langue à la luxuriance toute orientale, claire et souvent drôle ce que pouvait avoir de pernicieux et terrifiant et extraordinairement fascinant les exigences de la tradition et de la transmission. Est-ce que ce récit vous a permis de vous libérer vous-même de la puissance des traditions ?

Fawzia Zouari – Je ne me suis pas posée la question. En fait, j’étais plus dans une sorte de mémoire filiale. Il me fallait raconter le monde de ma mère. Le décrire avec fidélité. Et lui rendre hommage. Comme pour passer plus sereinement sur l’autre rive, celle de l’époque moderne.

Entretien réalisé par Heliane BERNARD

Tous les dessins présentés dans le cadre de cet entretien ont été choisis par Le Crayon pour accompagner les propos de Fawzia Zouari et non pas pour les illustrer. Nous en remercions leurs auteur(e)s: © Chimulus, © Dilem, © Jannoel, © Kroll, © Olivero, © Plantu, © Willis from Tunis

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