LES MOTS QUELLE HISTOIRE ! NOIR
Les mots ont une histoire. Ils naissent, se transforment, évoluent, retournent leur veste, changent de sens, opèrent des glissements et surgissent là où on ne les attendait pas. Aujourd’hui, Heliane Bernard est interpellée par le mot noir. Une sorte de fatalité lui colle à la peau.
NOIR, PUISSANCE DES TÉNÈBRES ET RACISME
D’où vient-il ?
Le mot « noir » est né du latin niger, il y a bien longtemps. En 1080, il devient neir, puis se transforme en noir. Très vite, noir s’applique à une personne de race noire- un Noir, une Noire- avec majuscule. Avant tout et le plus souvent, le noir, en fidèle adjectif, escorte un nom – des yeux noirs-.
La mauvaise réputation : Dès 1120, le noir est associé au mal. Privé de lumière, plongé dans l’obscurité, il accompagne les ténèbres, les forêts et les nuits profondes et angoissantes. Les esprits embrumés et souffrants. Les âmes noires, avides de sang et d’humeur noire. Il est l’intime des profondeurs de la Terre où logent les enfers mythiques, le messager de tristesse et de deuil, et pourtant combinaison du rouge, du bleu, du jaune.
Il est force et puissance : Certains le portent volontiers parce qu’il est dense et redoutable : le prince Noir, prince de Galles guerroyait revêtu d’une cuirasse sombre. L’aigrette noire de son casque vibrait au galop de son cheval noir. Ce prince noir met « dans le noir », c’est-à-dire au centre de sa cible, Jean le Bon, roi de France, qu’il soumet à la bataille de Poitiers en 1356. Ce jour de défaite sera, comme le disait déjà les Romains, marqué d’une pierre noire pour la France. Le Dark Vador de l’Odyssée de l’Espace est le Prince Noir d’aujourd’hui.
A travers les siècles, les expressions :
Au XIV° siècle, les paysans mangeront du pain noir et mourront de la peste noire.
Au XVI° siècle, « noir » fait concurrence à « nègre », venu de l’espagnol-negro- qui prendra plus tardivement le sens d’esclave noir que d’aucuns n’hésiteront pas à dénigrer.
Au XVII° siècle, les « messes noires » font prendre des colères noires à l’Eglise qui les guette d’un œil noir (1640)
Le XVIII° siècle broie du noir (1708)
Le XIX° siècle frissonne devant la magie noire, ou en lisant des romans noirs.
Au XX° siècle, si on doit dès 1901 aux chauffeurs algériens qui travaillaient pieds nus dans la soute à charbon sur les bateaux en Méditerranée l’appellation de « pieds-noirs », il faudra attendre 1955 pour que ce même qualificatif s’applique aux français nés en Algérie.
Sous les dictatures et les régimes forts, il n’est pas bon non plus d’être sur la liste noire, car il y a risque d’être rayé du monde ou emprisonné. Elle serait longue aujourd’hui, la liste des pays qui mettent les journalistes et les opposants sur cette fameuse liste et vont jusqu’à les faire disparaître.
Les expressions de ce noir fatal sont multiples : le chat noir que craignent les superstitieux qui le croisent par une nuit noire. Il a en lui les forces du démon et la mort dans ses yeux verts. Le noir qui dissimule comme le marché noir, des heures sombres de l’Occupation pendant la Seconde Guerre mondiale, le travail au noir ou les caisses noires …
Il y a les gueules noires qui remontent des mines ; la marée noire qui empoisonne les rives, les poissons et les hommes, la Mélancolie du Soleil Noir de Nerval, le Trou noir compact perdu dans l’infini replié sur lui-même, gardien féroce d’une lumière prisonnière.
Noir de la nuit, ponctuée d’étoiles et de comètes qui traversent le ciel
Noir profond des espaces sidéraux où voguent les navires en quête de mondes nouveaux.
Plus gai, le petit « noir » du matin au comptoir du bistrot quand « Paris s’éveille » ou se laisser aller à être complètement noir, un soir de fête ! Plus esthétique, l’Outre-noir du peintre Soulages.
Etre Noir, Black, Negro,
Avoir une peau noire a fait subir et fait encore subir à certains êtres humains toutes les avanies.
En Europe, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud ou dans tant de pays, c’est encore autre chose ! Tout d’abord, ces mots collent aux Africains, et cachent un racisme retors qui les ancre dans la symbolique des ténèbres.
Méprisés, pourchassés, leur peau d’homme les a désigné comme sous-hommes, race inférieure pour Hitler et les nazis en quête de pureté aryenne, sans âme, esclaves des Blancs, porteurs du mal puisque le noir traîne sa mauvaise réputation.
Quelle lutte, les Afro-américains ont à mener aux Etats-Unis pour conquérir leurs droits civiques dans les années 1955- 1968 ! Inspiré du prêcheur musulman afro-américain Malcom X, militant des droits de l’homme, assassiné en 1965, le Black Panters Party lutte lui aussi pour la défense des droits civiques du peuple noir américain, demande la fin des brutalités policières et des assassinats gratuits de leurs frères de couleur.
Leur emblème est la panthère noire, le fauve qui ne reculera pas si on l’attaque.
L’actualité nous dit qu’aujourd’hui encore leur couleur les discrimine dans tous les domaines.
Les Blancs d’un côté, les Noirs de l’autre et malheur à qui veut franchir la ligne imaginaire des préjugés. C’est la ségrégation active, du quotidien. Il n’y a pas si longtemps, elle régnait aussi en Afrique du Sud, abolie, grâce au courage d’un Nelson Mandela en 1994.
Il n’y a pas si longtemps, la ségrégation régnait aussi en Afrique du Sud, abolie, grâce à Nelson Mandela en 1994.
Avant d’être emmenés en esclavage, déportés, colonisés, ils avaient leurs civilisations, les « Noirs », leurs langues, leurs savoirs, leurs croyances, leurs coutumes, leurs arts, leurs musiques.
Est-ce que les musiciens Noirs qui nous offrent leur musique dite « nègre » échappent au délit de faciès ?
En Amérique, qui fait la chasse aux Noirs, les traque, les vise, les descend, les soupçonne ? Et chez nous, le pays des Droits de l’Homme ? Carte d’identité ? Papiers ?
Pourtant, pas plus que les Blancs sont blancs, ils n’ont jamais été noir, les Noirs, ils sont chocolat, avec des nuances de soleil ou d’or sombre, marron glacé ou caramel ! Des mots jolis et sucrés.
Enfin, je laisse le mot d’humour au musicien Ray Charles : « Je suis aveugle, mais on trouve toujours plus malheureux que soi…j’aurais pu être noir. » !
Noir d’habit
Dans l’imaginaire européen, littérature et arts, l’Orient, le Moyen-Orient, c’était encore il n’y a pas très longtemps, des espaces de couleurs rutilantes, de poésie, de savoirs.
Aujourd’hui, le noir venu de là-bas m’interpelle. Je l’associe au drapeau noir de daesh, aux noires silhouettes menaçantes de leurs soldats et à celles de ces êtres anonymes, enferrées dans leurs costumes, fantômes hantant le monde, irritantes, nombreuses, de plus en plus nombreuses.
Aujourd’hui, nos rues d’Europe se peuplent de noires ombres noires qui glissent, multiples et multipliées, des femmes peut-être, en burkas grillagées ou niqab, oublieuses du jaune du soleil, du rouge de l’amour, du bleu du ciel, du vert de l’espérance, oublieuses de leur liberté de femmes, soumises à des hommes, au nom d’une religion dévoyée, liberticide, reléguées parfois dans l’ignorance, parce que l’école risquerait de leur apprendre à penser, assignées encore petites filles à des mariages arrangés. Il y en a tant, que je ne vois plus qu’elles.
Certaines se battent et protestent. Ces femmes libres au beau visage découvert nous disent qu’il y a l’espoir d’un islam des lumières. Mais il en faudrait plus, des milliers de plus, des millions de plus, qui s’imposent et imposent leur féminité et amènent une paix rayonnante, dégagée de ce noir fatal.
Heliane BERNARD
À lire ou relire dans la même série » LES MOTS QUELLE HISTOIRE ! » : Le drapeau, Migrants, Racisme, Bienveillance, Politique, Patriote.
Remerciements à : Coco, Côté, Mezzo, Rodho, Marjane Satrapi et Tomi Ungerer.
Hommage à Cabu, Franquin, Siné et Tignous.