LE CRAYON S’EMPARE DE LA PHOTO : Joe Rosenthal, ELEVATION DU DRAPEAU sur Iwo Jima
Témoins ou mémoires de leur temps ? Des photos réalisées en périodes de conflit, par l’émotion et l’indignation qu’elles ont suscitées, ont fait le tour de la terre. Elles sont devenues de véritables symboles, qui ont été revisités par les dessinateurs de presse.
UNE ICÔNE DU NATIONALISME AMÉRICAIN
Le 23 février 1945, à l’issue de la bataille d’Iwo Jima contre les japonais, l’Eldorado croise au large de l’île japonaise d’Iwo Jima. À bord, le photographe Joe Rosenthal apprend par la radio qu’une patrouille est allée hisser la bannière étoilée des Etats-Unis au sommet du volcan qui coiffe l’île. Arrivé au sol, accompagné par un autre photographe, Bob Campbell, il escalade le mont Suribachi. En pleine ascension, les deux hommes croisent quatre soldats qui redescendent, dont le sergent-photographe Lou Lowery, du Leatherneck, le magazine des Marines, qui leur précise qu’il vient de photographier le lever du drapeau. Arrivés en haut, Rosenthal constate que le premier drapeau est en train d’être remplacé par un autre plus grand, plus visible de loin. Bob Campbell photographie la scène. Rosenthal demande alors aux marines de se regrouper au pied du mat du drapeau et prend deux autres clichés. Il immortalise cinq marines américains et un soldat infirmier de la Navy (deux soldats sont dissimulés derrière le groupe) dressant le drapeau des Etats-Unis.
La hampe du drapeau prolongée à droite par la cuisse du soldat qui plie le genou, structure la photo. Le cliché, titré « Le Drapeau hissé sur Iwo Jima », fait le tour de la planète et reçoit le prix Pulitzer de la photographie en 1945. Franklin Roosevelt, président des Etats-Unis découvrant la photo comprend immédiatement son potentiel symbolique. L’Etat vient de lancer un immense emprunt national pour soutenir l’effort de guerre. La photo de Rosenthal, fruit d’une mise en scène, devient pour le gouvernement américain un fabuleux outil de propagande. Le public américain est convaincu que le cliché a été saisi sur le vif. Sur les six marines présents sur la photo, trois ont survécu au deuxième conflit mondial. Identifiés, ils sont immédiatement mobilisés pour participer à la grande tournée entreprise dans tout le pays pour soutenir l’emprunt de guerre qui dépasse toutes les espérances. En 2006, le réalisateur américain Clint Eastwwod convoque dans son film « Flags of Our Fathers », la mémoire de ce moment. Un journaliste demande aux trois soldats : « Une photo peut-elle faire gagner une guerre ? » Ceux ci ne répondent pas.
ITINÉRAIRE D’UN CLICHÉ
11 juillet 1945 : date anniversaire de la création du corps des Marines, un timbre de 3 cents est édité à quelques millions d’exemplaires.
1949 : Le cinéma s’empare de ce qui était devenu un mythe. Les affiches du film Sands of Iwo Jima, mettent en scène la photo ou lui font un clin d’œil en présentant John Wayne qui incarne le sergent de Marine John M. Stryker, dans une pose qui par le pli du genou évoque celle du marine sur la photo.
1954 : Le sculpteur Felix de Weldon s’en inspire pour édifier le mémorial d‘Arlington (Virginie).
1968 ou la fin d’un mythe : Edward Kienholz (1927-1994), sculpteur pop américain s’empare à son tour du cliché, mais cette fois pour en faire une œuvre pacifiste et dénoncer la guerre du Viêt-Nam. « je regrette vraiment tous ces hommes morts, dans l’absurdité de la guerre, car dans leur mort je ne peux pas ne pas lire notre avenir. Paix! » dit-il.
16 janvier 1991 : Un ultimatum de l’ONU demande à Saddamm Hussein de retirer ses troupes du Koweït. Le refus d’obtempérer du président Irakien, est suivi le lendemain par une offensive alliée regroupant 34 pays. Le journal Le Monde publie alors le 18, en première page, un dessin de Plantu. Le caricaturiste met en scène l’offensive militaire placée sous le commandement du général Norman Schwarkopf et sous la bannière des Etats-Unis. Le visage du dictateur Irakien y est terrassé par la hampe du drapeau américain. Quelques années plus tard les pays alliés dans la guerre du Golfe s’enferrent dans un conflit sans fin. L’Irak devient une impasse politique. Le drapeau dans la caricature de Clay Bennet cède la place à un fragile château de cartes prêt à s’effondrer.
11 septembre 2001 : Quatre attentats suicides faisant le même jour 2 977 victimes parmi la population civile ébranlent les Etats-Unis. Des caricatures, comme celle de Kevin Siers, reviennent à la Une de nombreux journaux américains. Les pompiers comme la police new-yorkaise remplacent les marines US dans leur combat contre le feu. De nouveau la photo de Rosenthal remplit sa mission patriotique.
Août 2006 : l’Irak malgré la chute de Saddam Hussein est au fond de l’abîme de la guerre civile. Le caricaturiste Patrick Chappatte lance un SOS.
Les Etats-Unis se lancent dans une guerre sans merci contre Al-Qaïda sur le sol Afghan. Les années passent. Les morts et les bavures se multiplient. En mars 2012, sur une vidéo diffusée sur Internet on peut voir des marines urinant sur trois cadavres. L’image du drapeau de Iwo Jima, symbole de victoire perd de sa faconde (cf. la caricature de Steve Bell).
Devant le nombre croissant de victimes, les États-Unis multiplient l’usage de drones à grande échelle (cf. la caricature de Mike Peters).
Inversion d’un modèle : 14 juillet 2015, la photo s’inverse pour une dynamique et une lecture de droite à gauche. Normal ! Dans la caricature du dessinateur de presse iranien le drapeau américain est remplacé par celui de l’Iran dont les négociations sur le programme nucléaire viennent de donner lieu à un accord partagé avec les pays du « P 5+1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne). Dans les pays de langue arabe, la tradition graphique veut que l’image comme les textes se lisent de droite à gauche. Les « héros » portant le drapeau iranien s’y déplacent donc dans ce même sens.
Aujourd’hui la photo de Rosenthal est devenue pour les caricaturistes un classique, un archétype universel, une icône des temps modernes.
On la met à toutes les sauces : rivalités entre républicains et démocrates aux États-Unis, Gay Pride, accords de Schengen, révélations de WikiLeaks… sans oublier la victoire à la Pyrrhus de la liberté d’expression au moment de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo.
Alexandre Faure
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Remerciements à : Nike Anderson, Darrin Bell, Steve Bell, Clay Bennett, Patrick Chappatte, Bill Day, Danziger, John Darkow, Green, Joe Heller, Mike Keefe, Lardon, Mike Luckovich, Andy Marlette, Gary McCoy, Rick McKee, Alan Moir , Saad Murtadha, Mike Peters, Plantu, Ramirez, Bill Schorr, Kevin Siers, Rob Tornoe, Gianfranco Uber