Libres paroles : Le réalisateur Olivier Malvoisin
Avec le film Fini de rire, le réalisateur Olivier Malvoisin, pose la question de la liberté d’expression à travers le dessin de presse. Pour ce documentaire pionnier, il s’est adressé à des caricaturistes du monde entier. Rares sont ceux, nous le verrons, qui ne risquent pas leur vie et leur liberté. Le crayon est allé à sa rencontre. Nous publions ici le fruit de cet entretien.
Le Crayon – Votre film a pour titre « Fini de rire ». Pourquoi un tel titre ?
Olivier Malvoisin – C’est un titre pour lequel j’ai du me battre avec les chaînes. Elles n’étaient pas convaincues, le trouvaient pessimiste. J’ai tenu bon puisque selon moi, c’était le cœur de mon propos et la question sous-jacente du film. Depuis un an, je n’ai plus de remarques à ce sujet, mais beaucoup de questions puisque le film est sorti avant les attentats.
Le Crayon – Qu’est-ce qui vous a décidé à faire ce film ?
Olivier Malvoisin – Après la première affaire des caricatures j’ai été frappé à quel point cet événement en racontait énormément sur notre époque, la peur, la vitesse de diffusion, l’incompréhension, la représentation. Je me suis dit qu’en partant des dessinateurs on en raconterait beaucoup sur nous-mêmes, sur notre temps. De plus, de commentateurs les dessinateurs devenaient acteurs de quelque chose qui les dépassait. Imaginer que des dessinateurs puissent être pris comme cible était inimaginable pour des gens de ma génération. Et tout à coup on rentrait dans tout autre chose, je voulais comprendre, le raconter. Tous ces éléments, toutes ces failles en quelque sorte constituaient un terreau idéal pour une narration et un film pertinents.
Le Crayon – Avez-vous eu des difficultés à le réaliser ?
Olivier Malvoisin – Si l’on considère le temps, l’énergie et le financement, oui. N’oubliez pas que je me suis lancé en parallèle sur la réalisation d’un web-documentaire dont l’enjeu n’était rien de moins qu’un tour du monde – une cartographie – de la liberté d’expression. Rien que pour ce travail j’ai réalisé plus de 80 interviews de dessinateurs d’une quarantaine de pays pour lesquelles je n’ai rien délégué. Chaque entretien était personnalisé. J’étais donc face à deux types de narration à développer, des équipes différentes, des stratégies de diffusion nouvelles et différentes tandis qu’il y avait plusieurs chaînes de télévision et des moyens limités. Si l’on considère que j’étais également producteur, on peut donc dire que cela n’a pas été une aventure facile.
Lors du tournage maintenant, je n’ai eu aucun problème à part en Israël où nous avons failli être arrêtés alors que nous tournions une séquence sur le mur, côté israélien avec le dessinateur palestinien Khalil. Lorsque le char est arrivé près de nous dans cette rue déserte, à 400 mètres d’une colonie, alors que nous filmions Khalil en train de taguer le mur on en menait pas large (je dois encore avoir les rushes quelque part). Cet épisode nous a valu une fouille significative et un interrogatoire croisé en bonne et due forme lors de notre passage à l’aéroport. Là encore on évite de faire une petite blague et on la ferme. Tout ce qu’on veut c’est ramener les disques durs. Nous avions prévu le coup en laissant une copie à une amie à Tel-Aviv, juste au cas où. J’ai également réalisé un entretien avec une dessinatrice iranienne, qui s’est confiée au-delà de toute espérance. Elle s’est complètement lâchée sur la situation en Iran. J’ai choisi de ne pas montrer cette scène tant j’ai réalisé que cela avait été un moment de grande confiance mais qui aurait pu se retourner contre elle. De manière générale, pour les pays disons problématiques j’ai toujours demandé l’approbation des dessinateurs et dessinatrices concernés avant la mise en ligne.
Le Crayon – Fini de rire aborde la question du blasphème, soulevée dès 2006 par l’affaire des caricatures de Mahomet. Un an après les attentats de janvier, pensez-vous que la liberté d’expression, à ce sujet, ait régressé ?
Olivier Malvoisin – Le film part précisément de la question du droit au blasphème et de la représentation. Depuis l’année dernière le droit au blasphème est un des vrais combats à mener, à ne surtout pas lâcher.
Images 5 et 6 (Pour la 6 récupérer l’image déjà publiée de Plantu dans mon atelier pédagogique
Le Crayon – Pensez-vous que la liberté d’expression doit être soumise au fait de ne pas offenser ?
Olivier Malvoisin – Je me réfère à la Convention européenne des droits de l’homme : « toute personne a le droit à la liberté d’expression » sans diffamer, sans faire l’apologie de crimes de guerre ou contre l’humanité, sans stigmatiser un groupe particulier de personnes, sans racisme et sans xénophobie. Le droit d’offenser est inhérent à la caricature dans les limites que je viens d’énoncer. Offenser la bêtise, les puissants, les injustices, les extrémistes de tous bords et les bien-pensants est un droit très sain.
Le Crayon – Le dessinateur israélien Michel Kichka a dit qu’il lui avait fallu des années avant d’oser aborder la Shoah dans une caricature. Y a-t-il des sujets tabous ?
Olivier Malvoisin – En ce qui concerne Michel Kichka, il faut contextualiser : cette considération rentre dans un cadre ultra-personnel et familial qui lui appartient. Pour lui parler de la Shoah c’était revenir sur l’histoire de sa famille et sa relation très particulière avec son père d’une part et son installation en Israël d’autre part. Il ne m’appartient pas de m’étendre sur le sujet. Pour moi il n’y a pas de sujet tabou, tout peut-être traité, absolument tout mais pas par n’importe qui. Par contre tout le monde n’a pas le talent, les compétences ou encore le courage pour traiter de tout. Seuls certains entrent dans cette catégorie. Les autres parlent d’autocensure. Et/ou se taisent et c’est tant mieux.
Le Crayon – Vous avez, en dehors de votre pratique de documentariste et de producteur, travaillé pendant de nombreuses années dans le domaine de l’économie et à l’ONU. Vous avez aussi publié un livre sur le F.M.I. (Fonds Monétaire International) et enseigné l’économie politique. Certains méandres du système financier international peuvent-ils amener une censure à laquelle seraient confrontés les dessinateurs de presse ?
Olivier Malvoisin – Si l’on part du principe que le système financier est l’émanation du système économique ou inversement, bien sûr. C’est la structure de l’actionnariat qui définit entre autres les limites de la liberté d’un dessinateur. J’imagine mal Plantu faire un dessin très critique sur Pierre Bergé (co-propriétaire du Monde) si l’actualité lui en donnait la possibilité. Aux Etats-Unis, plus aucun dessinateur n’est lié à un seul journal. Les dessinateurs proposent leurs dessins à un « pool » auquel les journaux sont abonnés. Tous les jours, les journaux piochent dans ce pool. Pour être choisi, il faut un dessin lisse qui parle à tout le monde, sinon on ne vend pas. Les dessins les plus populaires concernent donc la météo et le sport en général, c’est donc ce qu’on voit. Heureusement, le New Yorker existe toujours.
Le Crayon – Daryl Cagle le dessinateur américain que vous avez filmé affirme que « la liberté de la presse appartient à qui appartient la presse. » La concentration des médias dans la main de quelques grands groupes est-elle un frein à la liberté d’expression ?
Olivier Malvoisin – C’est ultra-pragmatique comme l’est Cagle et c’est vrai. C’est surtout aux USA et en Amérique Latine dès les années 80 que l’on a vu le phénomène se développer. Cela est le cas aujourd’hui chez nous.
Le Crayon – Comment analyser vous le fait que d’importants quotidiens, comme le Figaro, pour ne pas le citer, n’accordent aujourd’hui qu’une portion congrue au dessin ?
Olivier Malvoisin – C’est une tendance générale dans la presse, de droite mais aussi de gauche (presse de gauche ?). C’est un coût et un risque en moins. C’est rationnel.
Le Crayon – Pensez vous comme l’exprime dans votre film le dessinateur Italien Lamberto Tomassini « qu’il ne peut y avoir de bonne caricature de droite, car l’essence même de la caricature, c’est la contestation de l’ordre établi, c’est la révolution. »
Olivier Malvoisin – De droite ou de gauche, une caricature complaisante, du côté du dominant et de l’ordre établi ne peut être bonne et susciter le rire ou la réflexion. De manière générale, les caricatures dites de droite ont servi des desseins qui vont au-delà des limites de la liberté d’expression (racisme, xénophobie, stigmatisation) bien plus que n’importe quelle caricature – même les plus mauvaises – de Charlie Hebdo.
Le Crayon – Vous avez conçu pour le Mémorial de Caen une exposition sur la liberté de la presse. Qu’avez vous pensé de la décision de son directeur quand suite aux attentats de janvier, il a pris la décision de suspendre les rencontres Internationales du dessin de presse prévues en avril dans ce musée d’histoire dédié entre autre à la notion de Résistance ?
Olivier Malvoisin – J’ai collaboré, conseillé et confectionné le programme plutôt que conçu. Permettez-moi de vous donner une réponse de Normand pour le coup. J’ai beaucoup de respect pour le boulot et l’ouverture de Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial. Il a totalement dépoussiéré avec succès la conception d’un Mémorial de la paix. J’ai été néanmoins déçu par cette décision bien que je la comprenne. A un moment, les choses deviennent totalement disproportionnées et émotionnelles. Il est parfois plus sage de réorganiser plutôt que de prendre des risques inconsidérés, prendre du recul alors qu’il aurait pu faire un buzz énorme. Pourtant au moment même je me disais que c’était au contraire Le moment de poser un geste fort, de se rassembler à chaud, même avec des militaires postés à l’entrée. Voilà pour la Normandie.
Le Crayon – Dans un même registre en tant que réalisateur comment avez vous accueilli la déprogrammation du film Timbuktu du réalisateur franco-mauritanien Abderrahmane Sissako, dénonçant la terreur menée par les islamistes à Tombouctou, au nord du Mali, dans plusieurs salles de France ou de Belgique ?
Olivier Malvoisin – C’est incompréhensible. Déprogrammer un grand cinéaste et un poète… que voulez-vous ? Il y aura pire.
Le Crayon – Votre film aborde la question de la liberté d’expression à travers des témoignages de dessinateurs de presse originaires des quatre coins du monde. Quels sont les pays où le droit à la caricature est le plus bafoué ? Nos démocraties sont-elles à l’abri de ces atteintes à la liberté d’expression ?
Olivier Malvoisin – Dans de nombreuses zones géographiques, la sacralisation du pouvoir reste très présente : s’attaquer au dominant, au chef d’Etat ou à ses affidés reste très délicat. Un dessinateur qui s’attaque frontalement au pouvoir s’expose à la prison dans de nombreux pays d’Afrique, en Asie centrale, dans les Emirats arabes, en Iran ou au Maroc par exemple.
Dans ces régions, ce qui est remarquable ce sont plutôt les stratégies de contournements et les traditions de dessins qui en découlent : l’utilisation de métaphores, des animaux et autres symboles est régulièrement bien inscrite pour faire passer un message.
Aussi, dans beaucoup de pays d’Amérique latine, l’arme utilisée par le pouvoir est plutôt l’humiliation publique, la pression psychologique, la pression financière pour pousser le journal à licencier le trublion par exemple. Un bon contrôle fiscal et on en parle plus, cela se voit aussi. Chez nous, il n’est pas rare qu’un homme politique s’adresse directement au directeur d’un journal ou au dessinateur pour lui faire part de son mécontentement : Sarkozy détestait être représenté avec des mouches autour de lui, pourtant c’était drôle. Les exemples sont nombreux. Le principal enseignement de 2015, c’est que nos petites démocraties sont de petites choses fragiles et que rien n’est immuable. Nous devons plus que jamais être vigilants et choisir nos combats.
Le Crayon – L’Europe en construction a t-elle selon vous un rôle à jouer pour que la liberté de la presse puisse prétendre à un caractère universel ?
Olivier Malvoisin – Vous voulez dire l’Europe en déconstruction. Les choses ne s’imposent pas. De manière générale, penser que ses valeurs ont vocation à l’universel est la source de toutes les formes d’intégrisme, que celui-ci soit d’ordre laïque, religieux, managérial. En ce qui concerne l’Europe, c’est une grande erreur que de continuer à croire que nous avons mission à transposer nos valeurs – cf. la colonisation -. Regardez la manière dont nous avons imposé par la suite la démocratie un peu partout dans le monde en échange d’aide au développement ce qui n’était autre qu’une colonisation par d’autres moyens. Qui sommes-nous franchement ? Nous devenons une société totalement inégalitaire avec des systèmes fiscaux préhistoriques. Regardez par ailleurs comment nous traitons aujourd’hui les réfugiés en Europe alors que cette crise est la conséquence directe des errements conjugués de politiques étrangères depuis 2001, et nous verrons que nous n’avons de leçons de stratégie, de tolérance ou de valeur à donner à personne. Nous avons créé nos propres monstres et sommes responsables de nos peurs. Commençons par apprendre tout cela dans nos familles, à nos enfants : la tolérance, la curiosité, le respect de soi de l’autre, le rire et le sens critique, ce serait déjà pas mal.
Le Crayon – Pensez-vous qu’il serait utile d’enseigner la caricature dans le cadre de l’école, dans l’apprentissage des arts ou même dans le cadre de l’enseignement des sciences sociales et humaines au même titre que l’histoire ou l’éducation civique ?
Olivier Malvoisin – Tout ce qui éveille au sens, au talent, à la collaboration, à l’esprit critique et éloigne des dogmes est bon à prendre dès le plus jeune âge.
Le Crayon – Mieux comprendre le dessin satirique nous permettrait-il de mieux « vivre ensemble » ?
Olivier Malvoisin – Le problème n’est pas la compréhension mais la tolérance par rapport à une pensée différente de la sienne. Je pars du principe que les gens ne sont pas idiots mais potentiellement intolérants et que certains utilisent très bien des étincelles pour créer de grands feus au service de leurs propres intérêts. Plus que jamais le concept de manipulation des masses est pertinent tandis que le monde s’enfonce dans le premier degré. Voire le demi.
Le Crayon – Dans l’histoire du dessin de presse et de la caricature si vous deviez choisir un dessin, quel dessin choisiriez-vous ?
Olivier Malvoisin – Désolé, mais j’en ai encore des frissons.
Le Crayon – Enfin quel est selon vous le plus grand film satirique ?
Olivier Malvoisin – J’en citerai trois : « C’est arrivé près de chez vous » dix ans après les débuts de « strip-tease » et 10 ans avant la télé-réalité, indémodable, violent, cru, drôle, à l’arrache : excellent. « Le dictateur » de Chaplin, pour son génie visionnaire, son talent formel et sa poésie. « Les bronzés font du ski » pour la satyre de la classe moyenne légèrement réac. et les fous-rires depuis toujours. Fou-rires, c’est bon ça, ça détend, ça décontracte du gland comme disait l’autre dans une autre satyre de son époque. On en a bien besoin.
Entretien réalisé par Alexandre FAURE
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