MOT A MAUX : SOIF DE PETROLE
Voyageuse en écriture comme dans la vie, Chantal Pelletier joue chaque mois, au gré de ses rencontres et de l’actualité, entre mots et maux, questionne vigoureusement nos certitudes, et réveille le peu qui reste de nos vigilances … par la grâce mystérieuse des véritables œuvres d’art!
AU RENDEZ-VOUS DES ARTISTES, on fête une de nos habituées, Annette Messager, partie au Japon pour recevoir le Nobel des arts, le PRAEMIUM IMPERIALE – domaine sculpture¹. On est ravis que les Nippons honorent cette plasticienne française (si peu sculptrice) créatrice d’installations et qu’ils saluent planétairement son talent culotté pour faire danser les fantômes, grincer les mots, marier ludiques fraîcheurs et lucides noirceurs. Cela nous console un chouïa de notre panique devant le déluge de politiques pathétiques, ni ludiques ni lucides, bourrés de tics et obsédés de fric qui nous harcèlent de leur hargne et de leur haine. Leurs sévices sévissent partout, ici, de l’autre côté de l’Atlantique, de la Manche, dans les anciens empires de l’Est, du proche à l’Extrême-Orient et nous foutent d’obsédantes trouilles. Quelle mesure diététique de salut public pour mettre leur politique au régime de la décence et du partage ? Marre de vomir en avalant leur satanée cuisine.
SI J’AVAIS UN CRAYON, je dessinerais un match de foot disputé par 22 des timbrés, morts ou vivants, qui nous ont pourri la vie pendant les soixante-dix ans qui nous séparent de la seconde guerre mondiale. Les dirigeants malades mentaux qu’on pourrait accueillir sur le terrain ont été bien plus nombreux que ça, bien sûr, mais seraient représentés ici les pires, morts ou bien vivants, parmi les Américains, les Soviétiques ou Russes, Européens, Asiatiques, Africains. Staline en gardien de but, Mao en première ligne, Bush en capitaine, Jean-Marie Le Pen au centre, Poutine en arrière-droit, Bachar El-Assad en milieu de terrain, etc. La liste est longue, et on pourrait organiser plus d’un championnat. A la place du ballon, la planète bien sûr, dans lequel ils shootent allègrement sans vergogne pour marquer leurs buts personnels en envoyant au casse-pipe la Terre, ses habitants et ses ressources.
Ce jeu de massacre sans mi-temps se jouerait sous une pluie de pétrole, ce roi qui a mené la danse pendant ce 3/4 de siècle : civilisation du pétrole, fric du pétrole, dictature du pétrole. L’époque qui court de la seconde guerre mondiale à nos jours sera sans doute nommée aux siècles suivants: les guerres du pétrole. Pour mesurer –et pas seulement !- le rôle mortifère de ce foutu hydrocarbure qui est notre dieu à tous depuis des lustres, il faut à tout prix, si jamais vous avez loupé sa sortie en salles l’hiver dernier, regardez le DVD de Homeland, Irak année zéro de Abbas Fahdel ², qui, alors qu’il habitait en France, est retourné en Irak fin 2002 et printemps 2003 pour rejoindre sa famille dans l’attente d’une guerre qui annonçait la fin de son pays, de ses souvenirs, afin de documenter tout ce qui allait disparaître.³
Ce film magistral suit au plus près, dans leurs rires, leurs trouilles masquées, leurs silences, hommes, femmes, enfants plongés dans un cataclysme auquel ils ne peuvent échapper. Sans aucun commentaire, jamais (parfois, un banc titre pour une indispensable précision), il nous saisit sensiblement, humainement, avec une pudeur miraculeuse. On en est profondément remués, sans cesse chavirés entre sourires, serrements de gorges, larmes aux yeux. Un film capable de telles prouesses est une révélation.
Il montre de façon implacable cette sinistre évidence : les crimes perpétrés par des dirigeants débiles d’Occident ou d’Orient, fous de pouvoir et de manne pétrolière, s’engendrent au fil des décennies. Nés avant-hier, les massacres d’hier durent encore aujourd’hui et dureront demain. Mais surtout, ce qui élève cette révélation au rang de chef d’œuvre, c’est que, malgré sa fin proprement bouleversante et inoubliable, ce film donne matière à réfléchir, questionne vigoureusement nos certitudes les plus radotées, réveille le peu qui reste de nos vigilances et … par la grâce mystérieuse des véritables œuvres d’art, il ne nous laisse pas sans espoir ! Merci, Abbas Fahdel !
Chantal PELLETIER
[1] Le DVD en deux parties (1 – Avant la chute, 2- Après la bataille) dure 5h34.N’hésitez pas à suivre le blog de Chantal Pelletier
¹ Cette même distinction a été attribuée cette année dans d’autres disciplines artistiques notamment à Martin Scorsese (Théâtre/cinéma) et à Cindy Sherman (Peinture/photographie)…
² Pour découvrir ce cinéaste, et son passionnant itinéraire, voir son site et écouter hors champ de Laure Adler et la grande table de Caroline Broué.
³ Le DVD en deux parties (1 – Avant la chute, 2- Après la bataille) dure 5h34.
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À retrouver sur notre site :
Chantal pelletier – Mot à maux : Et lecteur, mars 2017
Chantal Pelletier – Mot à maux : Amies voix, février 2017
Chantal Pelletier – Mot à maux : Au désir des dames, janvier 2017
Chantal Pelletier – Mot à maux : Envers, décembre 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Ressasser tue, novembre 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Fichus chiffres, septembre 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Promo Pro-Moi, août 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Parade, juillet 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Voyage au pays des autres, juin 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : culture culte, mai 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Chance de chanter, avril 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Ce n’est pas du sang, c’est du rouge!, mars 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Image saine, février 2016
Chantal Pelletier – Mot à maux : Carton de consolation, janvier 2016