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LES MOTS, QUELLE HISTOIRE ! POLITIQUE

LES MOTS, QUELLE HISTOIRE ! POLITIQUE

Les mots ont une histoire. Ils naissent, se transforment, évoluent, changent de sens, opèrent des glissements et surgissent là où on ne les attend pas.
Aujourd’hui Heliane Bernard s’attaque à « Politique ». Le mot, qui s’éparpille en des sens innombrables, était puissant dans l’Antiquité grecque. Il se pratiquait déjà sur la place publique, avec force gestes, disputes ou sous-entendus. Il a donné lieu à d’intenses analyses et réflexions. Il vient donc de loin, scruté par les philosophes, utilisé à tout bout de champ, couvert souvent d’opprobre, d’exécration ! Un beau mot, pourtant.

 

LA CONSCIENCE POLITIQUE, CLÉ DE LA LIBERTÉ

« Seules l’excellence et la capacité politiques donnent droit au pouvoir » Aristote 

D’OÙ VIENT –IL ?

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Le mot politique a été emprunté au grec, « polis » (la cité) associé à techné (la science).

Sa racine première « polis » a fait naître quatre termes :

« Politikos », «de la cité, de l’Etat » a le sens large de société organisée, développée.

« Politeia », la Constitution

« Politès », le citoyen »

« Politiké », la pratique du pouvoir, gestion du pouvoir, lutte de pouvoir, partis politiques.

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Le mot prend tellement de formes qu’il est très difficile à cerner. C’est une exploration sans fin et il ne peut se dévoiler qu’en revenant à ses origines.

largeTout commence dans l’Antiquité où la polis – invention grecque – est la communauté politique qui a servi de base au monde grec et la différenciait des mondes barbares. Transmise à Rome, elle a été reprise dans la conception moderne de l’Etat.

Selon le célèbre énoncé d’Aristote (-384-322 avant J.-C.) « l’homme est par nature un animal politique ». Plus loin, le philosophe précise, « Il a le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste, et des autres notions morales ». Le philosophe avait donné à politique le sens précis de philosophie politique dans son ouvrage ta politika, Le Livre des politiques. Il y exposait ce que sont la science politique et la polis (Cité).

La science politique est alors une science pratique, considérée comme la plus prestigieuse des sciences puisque son but est d’établir le bien de tous par des lois justes. Elle doit être étudiée par tous les citoyens.

Elle inclut l’éthique – c’est-à-dire la morale – et l’éducation. Le philosophe insiste sur l’éducation, -problème politique essentiel- qui doit être la même pour tous ses membres et ne négliger ni l’éducation physique ni l’éducation musicale.

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La Cité – ou polis – est une communauté politique organisée, établie sur des rapports de solidarité. Chaque « polis » est comme un petit Etat souverain. Elle est définie par un territoire commun, avec ses institutions, son droit, son culte, ses fêtes. Elle n’est reconnue comme telle par les cités voisines que lorsqu’elle a des administrations, un théâtre, un gymnase, de l’eau qui alimente les fontaines, des sanctuaires pour les cultes publics, des fortifications et une place publique, lieu des discussions, échanges, tractations.

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Selon le philosophe, une cité heureuse est une cité gouvernée par des citoyens dont c’est le métier et qui ne doivent avoir comme ambition que d’améliorer la vie de la cité et non la recherche du profit personnel. Elle a des lois acceptées par tous. Et il précise que la politique est l’affaire de tous, comme l’affirmait déjà Periclès, un siècle avant lui, et que « quiconque se tient à l’écart des affaires publiques est considéré comme un être inutile ».

La politique recouvre donc non seulement une communauté autonome – la polis – mais aussi les fonctions qui permettent l’épanouissement de la communauté, et toutes les questions qui concernent la vie de la communauté.  Elle est comptable de la bonne marche de la collectivité.

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On peut trouver une quantité de dérivés : au choix, politiser (1370 – gouverner un Etat) ; 1405, un adverbe, politiquement ; 1689, politiquer  (parler politique) ; 1839, politicailler, franchement familier (discuter vainement politique) ;  en 1959, politologue ; en 1960, se politiser …

En 1268 : le mot politique s’impose en français, comme nom féminin. Il remplace policie, du latin politia (police) repris du grec ta politika, les affaires publiques.

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En 1365  : il devient adjectif. Il signifie ce qui est relatif au gouvernement des hommes. Il désigne un homme populaire, sociable, bénéficiant de la faveur de ses concitoyens, habile dans les affaires publiques. Un homme avisé.

EN 1370 : il prend le sens neutre de « la chose publique »

En 1485 : il qualifie ce qui est propre à un bon gouvernement et par extension s’applique à une personne sage, éclairé. Il a un sens positif.

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Au XVI° siècle, le mot politique se masculinise. Un politique est d’abord un officier de police (1559), qui se transforme en policier au XVIII° siècle.

Pendant la période des guerres de Religion, de 1562 à 1598, date de l’Edit de Nantes, le nom a un sens bien spécifique : il s’agit d’un membre d’un parti qui dit s’occuper des questions non religieuses. (1589).

Avant 1621, le politique est une personne qui exerce avec habileté et compétence un gouvernement civil, un spécialiste de l’étude de la politique. Avec le temps, le mot se nuance. Le respect qui l’accompagnait se teinte de dérision ou de méfiance. Le cynisme qui s’attachera au mot pointe son nez.

En 1636, on commence à l’employer pour un personnage qui s’accommode de toutes les situations mais aussi pour se moquer celui qui a une longue pratique de l’administration policière.

En 1640 son sens évolue.  Il peut désigner soit une manière de gouverner, soit un type de gouvernement, autoritaire ou démocratique, soit encore l’ensemble des affaires publiques, le pouvoir et son opposition, l’exercice du pouvoir dans un Etat. Les expressions vont se succéder : parler politique, faire de la politique (1831), on parle aussi de service politique à propos d’une rubrique dans un journal ou encore de carrière politique. Théorique et pratique, la politique est classée dans la morale, science de la société et des mœurs.

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En 1789, avec la Révolution apparaît le droit politique, qui s’applique à l’exercice de la souveraineté par le peuple. Plus tard, selon les régimes justement, politiques, il y aura les délits politiques (1815), puis les détenus politiques (1848).

Au XIX° et XX° siècle, le politique est quelqu’un qui donne la priorité à l’action politique plutôt qu’à la lutte armée ou sociale.

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Elle est partout

La politique, elle ne se dit pas et ne se fait pas seulement à l’Elysée, à Matignons, dans les allées de l’Assemblée. Elle se dit et se fait, comme jadis, et depuis toujours sur les marchés des villages, les places publiques, dans les bistrots, les salons, dans les tavernes, avec ses cris, ses bagarres, ses âneries, sa philosophie, avec bon sens, non-sens, sens pratique, au détour d’une rencontre, à la fin d’un repas. Mettant aux prises amis et voisins, frères et beau- frères, père et fils et enfin, de plus en plus, femmes et filles. Sans oublier que chez nous, en France, aujourd‘hui, on peut encore dire, caricaturer, et s’exprimer en public ! « Pourvu que ça dure », comme disait déjà Letizia Bonaparte !

La politique, à quelque moment que ce soit a toujours suscité le débat, la guerre, les contradictions, les conflits. Le mot lui-même est sujet à controverses pratiquement insurmontables ! D’un côté la machine du pouvoir, variant selon les régimes ; la mise en œuvre de ces pouvoirs (lois), la vie de la communauté, les religions…

Conscience politique :

Deux mots qui me tiennent à cœur.

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Pour qu’émerge en chacun une conscience politique, il faut d’abord battre en brèche l’inconscience collective. Ce qui permettra, en cette période périlleuse, de faire des choix électoraux réfléchis.

Ont-ils une conscience politique ceux qui prônent le « j’en ai rien à foutre » – qui est en train de faire le buzz -, ou le « on ne fait pas de politique » de la société Lafarge qui s’apprête à participer à la construction du mur de Trump, qui autorise n’importe quelles compromissions amorales pourvu que les intérêts particuliers soient sauvegardés ? Les médias ont le devoir de rappeler notre Histoire. Nos luttes pour la liberté.

Ont-ils une conscience politique les fanatiques religieux ou politiques ? Ils sont les ennemis de la paix civile, de la construction d’une Europe unie et forte. Ils brandissent le poing ou les armes. Ils mentent sans vergogne sur les réseaux sociaux, profitant de la crédulité de ceux qui n’ont que ces canaux pour s’informer. Ils sapent la morale humaniste, et se rient des vraies valeurs républicaines en dévoyant leur sens pour les plaquer à leur projet populiste, créant un climat de guerre civile. Ils prennent nos beaux mots républicains et les tordent pour mieux s’en servir.

La conscience politique est la clé de la liberté. En avoir c’est se donner la peine de penser au bien commun, à ce qui nous est commun, à l’intérêt général, comme l’aurait voulu ce bon vieux penseur grec éclairé, Aristote.  Et oser ne pas se taire.

Heliane BERNARD

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Remerciements à : Bésot, Camille Besse, Biz, Félix, Philippe Geluck, Damien Glez, Xavier Gorce, Jul, Large, Soulcié, Nadia Khiari alias Willis from Tunis.

Hommage à : Chimulus et à Mix & Remix

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